RECIT POLAIRE 3|3 (18.02.2010)

EN COULISSES 3|3
Récit et photographies de Stéphane DUGAST

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Sept décennies après ses hivernages au Groenland oriental, j'ai glissé mes pas dans ceux de Paul-Emile Victor (1907-1995) afin de raconter le destin d'une des figures emblématiques de l'aventure polaire du vingtième siècle et une région du globe en pleine mutation. Ultime volet du récit de cette aventure polaire racontée dans un livre, une exposition, un film documentaire et dans la presse.

FCB pic 15 W.jpgC'est lors d'un quart pendant une nuit étoilée que l'idée de réaliser ces voyages-expéditions en milieu polaire a germé. Sur le pont détrempé de la goélette de la Marine nationale Belle Poule, le Groenland et Paul-Emile Victor se sont enfin conjugués. Clin d'œil à ma vocation polaire, le marin-aventurier Frédéric Chamard-Boudet, dit «Le Cham'», achevait sa carrière dans la Royale sur ce navire-école.

Frédéric, je lui dois ma première expérience polaire. Solide gaillard bâti comme un deuxième ligne de rugby, ancien radio transmetteur chez les commandos Marine, le «Cham'» est un passionné de voyages et d'expéditions.

En digne héritier des marins explorateurs comme Pierre Loti ou Jules Dumont d'Urville, découvreur de la terre Adélie, ce fondu de voile a décidé de marcher sur un océan et de rejoindre, en solitaire et sans ravitaillement, le pôle nord depuis la Sibérie. 

Reporter «officiel» de son expédition, c'est à cette occasion que j'ai découvert le monde polaire. En Sibérie centrale durant l'hiver 2004, j'ai ainsi effectué mes premiers pas au pays des glaces.

Au cap Arkitcheski, à la pointe de l'île Severnaya zemiya, j'ai pu contempler la banquise pour la première fois de ma vie. D'abord, depuis le hublot de l'Iliouchine 8, l'un des deux hélicoptères de l'aviation civile russe dans lesquels avec d'autres membres d'expéditions nous avons embarqué. Vue du ciel, cette  vaste étendue blanche à perte de vue, avec ses longues cicatrices et ses fractures causées par les courants, m'a instantanément fasciné. Au sol, le silence de cathédrale qui y règne m'a figé.

Ce jour là s'étendait l'océan arctique glacial à perte de vue. Droit devant, le pôle nord à 980 kilomètres. Pour l'atteindre, 60 jours de marche au moins. Posés depuis quelques minutes sur ce sol immaculé, les deux hélicoptères de l'aviation civile russe semblaient perdus dans cette immensité malgré leur taille imposante. Tandis qu'autour des deux carlingues à la robe orange et bleu aventuriers et accompagnateurs s'affairaient, j'ai pris le temps de m'isoler et de me perdre dans une «forêt» de blocs de glaces sculptés par les marées et les vents.

Le silence absolu seulement rythmé par ma respiration bruyante m'a saisi. Méditant quelques minutes à l'écart, je me suis imprégné du moment. Dans ce paysage dépouillé calme et fureur de la Nature se mélangeaient. De ces instants trop furtifs sur l'océan arctique gelé est née une intime conviction : revenir s'immerger dans un univers similaire. Russie ? Alaska ? Canada ? Antarctique ? Je ne le savais pas encore.

L'idée d'un reportage en milieu polaire ne me quittera plus. En Sibérie central, les pieds gelés, les mains engourdies, les lèvres gercées, la chaire de poule en continu et les onglées nombreuses, j'y ai appris un univers et ses dures lois. En me rendant deux ans plus tard sur la côte orientale du Groenland, j'allais de nouveau être aimanté comme «Pôle»-Émile Victor !

De prime abord sauvage, hostile et figé, les univers polaires révèlent leurs mille et une facettes à qui sait patiemment les arpenter, les regarder, les ausculter, les sentir et les écouter attentivement. On dit d'ailleurs que c'est à ce prix que les icebergs respirent, murmurent, chuchotent puis vous parlent... (FIN)

«Dans les pas de Paul-Émile Victor» sur Internet, rendez-vous sur : www.danslespasdepaulemilevictor.fr

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