ELECTRON LIBRE (07.01.2011)

Vivi Navarro vient du Sud. De Sète précisément. D’elle, on dit qu’elle aime passionnément la mer et ses cargos, les ports et les marins. Sur la Jeanne, la révélation a été totale au point de réaliser la couverture et des dessins pour l’ultime album de campagne. En ligne de mire, d’autres embarquements sur des «bateaux gris» avec les marins, «ses marins»…

navarro01.jpgEn embarquant à de multiples reprises sur la Jeanne, qu’espèreriez-vous capter ?

- Vivi Navarro : Peintre embarquée, c’est ce que je préfère. Une fois en TPB («Tenue Pour la Barbouille»), l’aventure peut commencer, pas avant. On sort du confort sécurisant et intra-muros de l’atelier. Les outils réduits, il faut donc donner le maximum.

La force d’un carnet, c’est l’adaptation mais aussi et surtout le partage, l’ouvrir à l’autre, s’ouvrir à l’autre. Les journées étaient remplies, soldées par le briefing du soir  que je n’aurais manqué pour rien au monde, journées  récompensées par le dernier point en passerelle avant d’aller dormir, une dernière prise de notes, comme une invitation aux rêves à venir.

La Jeanne berce les cœurs et les âmes. Oui, l’univers portuaire est mon terrain de jeux préféré depuis très longtemps et j’ai une profonde admiration doublée d’un grand respect pour les amis marins que je mets en avant. Ils n’apparaissent pourtant jamais sur les toiles sauf dans cinq dédiées à la Jeanne.

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Je planifie rarement, j’avance à coups de machette, je donne le ton en début de carnet avec la rose des vents, souvent.  

Ensuite tout n’est plus qu’une histoire de hasards, d’opportunités, qu’elles soient liées à la météo, à la rencontre ou même à une situation personnelle comme le retrait dans un coin du bateau, une errance dans une coursive ou même liées à une  simple histoire de technique.

En tout cas, je me fonds toujours dans l’équipage sinon il m’est impossible de travailler. J’entrouvre une porte, enjambe le surbau et derrière on l’ouvre en grand et on m’invite à entrer ! J’ai de la chance.

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Aviez-vous en tête des idées préconçues avant d’embarquer ?

La ferraille et les apparaux de manœuvre sont des sujets récurrents dans mon travail. Mais ils demandent de l’isolement à cause de la technique car je fais ainsi de la vraie rouille.

La Jeanne, j’étais invitée, civil invitée, touriste dans le jargon. Je voulais donner, montrer et partager. Rien de précis mais depuis 2008 prémices de cette aventure, je souhaitais donner du sens à cet embarquement exceptionnel que je qualifierais «d’initiatique».

Tout naturellement et parce que je les aime profondément, je suis allée à la rencontre des marins. C’était l’objectif : parler d’eux, leur rendre hommage, prendre des rendez-vous surtout les faire parler. J’avais le fond pas la forme, elle s’imposerait seule. Dessiner, écrire, peindre, photographier, sans relâche, l’équipage, la coque.

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Pourquoi le porte-hélicoptères R97 était-il à vos yeux si différent des autres ?

Différent ? La Jeanne n’est pas si différente des autres si l’on considère l’esprit d’équipage, les notions de respect, de solidarité ou d’humilité  qui y sont transmises. Ce bateau me touche. Il a vraiment une âme.  Avant de connaître la Jeanne, je savais à peine qu’elle était un bateau de légende.

Le mystère était total. Sa réputation la précédait. C’est un privilège d’y avoir fait campagne, surtout pour une peintre du Sud, éloignée de Brest et Paris. J’en suis très fière, et encore ébahie. Fort de ce vécu, j’ai pu vivre les débuts du GEAOM.2 (NDLR : Groupe-Ecole d’Application de Marine) à bord du BPC Tonnerre.

C’était pendant le cyclone «Xynthia», un très beau souvenir. J’ai regardé vivre les 2 GEAOM, ancien et nouveau système. J’ai pu ainsi réviser ma leçon sur la hiérarchie compliquée. Jusque là tout était un peu vague !

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Quand on est juste une contemplative, que l’on se prend pour un marin et que l’on côtoie le chef de quart en passerelle par temps de branle, on a des frissons, des peurs mais aussi des ailes ! Elle est importante parce que le bord m’a accueillie avec une grande générosité.

Curiosité réciproque et amusante. Pour le dernier appareillage de Brest, après avoir doublé le Goulet, on s’est pris un coup de roulis magistral. Tout a volé, le pacha m’avait mis le très lourd livre d’or dans les mains, j’ai tenu fort entre mes bras ce précieux bébé que l’on me confiait, sauvé !

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On a bien ri mais j’ai moins rigolé les jours suivants! Ainsi va le bord. Importante aussi parce que je l’ai accompagnée au point de son ultime accostage, que j’ai vu la dignité des marins…Comment oublier ces moments forts ? Mais surtout par les rencontres humaines, tranches de vie, tranches de Jeanne ! Nous avons ri et même pleuré ensemble. Comment oublier ?

- Si vous aviez à décrire brièvement le porte-hélicoptères R97, quelle serait votre slogan ?

Jeanne un jour, Jeanne toujours ! La Jeanne et ses hommes sont gravés dans ma chair.

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Quels sont vos prochains projets ?

Un prochain carnet de voyages intitulé «A bord du Biladi - Attention Tanger !» Depuis un an, j’embarque effectivement à bord du car ferry le Biladi, depuis l’escale de la Jeanne à Casablanca d’ailleurs.

A bord du Biladi, j’ai rencontré un commandant atypique, encore un, j’ai vraiment de la chance, grand marin, musicien, il parle espagnol, arabe, anglais, allemand. C’est le seul français à bord, mon travail l’a séduit ainsi que la démarche.

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Côté expo, je suis présente à la galerie Dock Sud à Sète et à la galerie Michel Estades de Toulon toute l’année. Dock Ouest voit le jour à Concarneau. Concernant la Jeanne, j’écris un récit, je prends du temps.

- Quel(s) embarquement(s) sur un bateau gris vous font rêver ?

Tous ! Je suis une incorrigible rêveuse, une seule journée à bord et je pars pour des ailleurs magnifiques ! Je ne cache pas que Djibouti, la Mer Rouge, le canal de Suez, Port Saïd me taraudent, que je n’ai pas encore passé la ligne, que j’en crève d’envie. L’Antarctique me happe, et la Patagonie. J’ai quelques cases à cocher !

 Propos recueillis par Stéphane DUGAST

 

JDA-couv-carnet-de-voyages.jpgEN STOCK

De rares exemplaires du carnet «A bord de la Jeanne d’Arc  peuvent être commandés en contactant directement l’artiste via son site web  à
http://embarquements-vivinavarro.blogspot.com/ 

 

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