JEAN GAUMY #7 : UN CLICHE, UNE HISTOIRE (23.12.2012)

Photographe pour la prestigieuse agence Magnum depuis 1977, Jean Gaumy bourlingue et photographie le monde depuis plus de quatre décennies. Photographe de renom (devenu peintre de la Marine depuis 2008), le normand d'adoption se raconte chaque mois pendant un an sur le blog Embarquements. Septième cliché et septième point de vue commenté par un « pêcheur d’images » insatiable.

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© Jean GAUMY / Magnum Photos

 

« Ce cliché a fait le tour du monde. Visuellement, cette photographie a quelque chose des vieilles tragédies grecques. Des femmes voilées s'entraînent au tir au revolver pendant la guerre Iran-Irak. Là, c’est mon troisième voyage dans ce pays en pleine période postrévolutionnaire. Je suis l’un des rares occidentaux à pénétrer dans ce pays. Je suis au centre de l’œil d’un cyclone.

Comme d’habitude dans ce genre de situation, le ministère de la communication sait que vous êtes dans les parages et souhaite sans cesse vous contrôler. Le jeu est fin. Dans des pays complexes comme celui-ci, tout semble impossible et paradoxalement tout est possible… 

En pleines fêtes de la révolution – pourtant déjà  très visuelles et très prenantes - j’ai fait part du désir d’aller visiter la redoutable prison d’Evin (jamais ouverte à la presse) dans laquelle moisissaient deux anciens membres très importants du Parti Communiste et dont plus personne n’avaient de nouvelles depuis le début de « la Révolution confisquée ». Contre toute attente, je vais obtenir l’accord des autorités. Les choses deviennent possibles.  Pourquoi ?

Mieux, lors d’une autre occasion, mon guide m’emmènera dans un camp d’entraînement de femmes de la banlieue de Téhéran jamais ouvert à la presse occidentale. Une demande avait été faite cependant par des amis journalistes un an auparavant.

Durant 3-4 heures, j’assiste à ce spectacle étonnant. Des femmes armées jusqu’aux dents. Comme je refuse de travailler au téléobjectif, j’insiste et mets du temps à convaincre tout le monde que je puisse photographier ces femmes de près...

Impensable pour tout le monde. Totalement incorrect socialement, religieusement et donc, politiquement mais pas forcément médiatiquement. La preuve, j’ai quand même pu travailler de près !

Dans le viseur de mon Olympus équipé d’un 35 millimètres, j’ai aussitôt compris la force plastique et « informative »  de cette situation.

Cette série sera notamment publiée dans le prestigieux magazine Time en août 1987 pour lequel j’étais en commande. Un photoreporter est un messager, un go-between, entre des mondes qui ont chacun de terribles aprioris, aussi sur le terrain et ailleurs, mieux vaut ne pas faire le malin et rester très humble et très lucide.

Il y a assez de souci à se faire à propos des inévitables manipulations qui planent sur notre présence et sur nos travaux.

Avec cette série de photos je ne risquais évidemment pas de donner un écho très partisan de l’Iran à des lecteurs occidentaux. Le gouvernement iranien le savait. Mais il savait aussi qu’à travers Time ou d’autres magazines dans lesquels pourraient se trouver mon travail, ces photos seraient vues, « exportées » en quelque sorte vers des pays du tiers-monde favorables à l’Iran et y seraient probablement perçues très différemment.

Les iraniens sont très pragmatiques. La lucidité, l’expérience collective, la résistance et l’indépendance, corollaire indispensable de l’engagement, sont les piliers de l’agence Magnum dont je suis membre depuis 32 ans.

À Magnum, tous les attributs de statut d’auteur s’imposent : choix des reportages, des essais photographiques, de leur durée, sélection des photographies, propriété des négatifs, maîtrise du copyright et contrôle de la diffusion.  Facile à énumérer, pas si simple à vivre au jour le jour…  »

> LIRE LA CHRONIQUE #6

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