LA RAGE DE VIVRE [BEST-OF] (06.08.2014)

À 71 ans, l’inoxydable Maurice Thiney, membre de la Société des explorateurs français, repart bientôt pour deux mois d’expédition aux Philippines. Rencontre à Corcelles-les-Monts en Côte-d'Or avec l'intéressé, entre planisphères et livres de voyages. Un entretien haut en couleurs. Second des 8 reportages best-of rediffusés cet été sur le blog Embarquements.

Destination ?

Maurice Thiney : « Nous partons pour l’île de Mindanao au sud des Philippines à la rencontre des Tasaday, une petite communauté profondément installée au bord d’un fleuve difficile d’accès avec beaucoup de sauts à passer. Il faut s’enfoncer à l’intérieur de la jungle et la précédente expédition ne l’a pas retrouvée.

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maurice thiney,aventure,côte d'or

Le repos ?

Surtout pas ! Il n’y a pas d’âge pour les passions, elles nous emmènent au bout de la vie. À moins d’un problème physique, l’âge n’est pas un obstacle. J’ai participé l’an dernier en Nouvelle-Zélande à un championnat du monde de triathlon et j’ai énormément de projets insensés qui peuvent encore m’emmener très loin.

Ta vie quotidienne ?

Des activités permettant de garder notre forme physique et intellectuelle. Je pratique la course à pied, le vélo, la natation et le parapente. Ma démarche est la conséquence d’une jeunesse un peu difficile, je suis issu d’une famille aux conditions de vie modestes, il n’y avait pas de place pour se plaindre. Au fil des ans s’est forgée cette envie de prendre la vie à bras-le-corps.

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Regrettes-tu cette enfance ?

Non, j’en suis très heureux. Cette vie un peu à la dure a cultivé ma détermination. Gamin, j’avais peur la nuit. J’ai chapardé un drap à ma mère pour en passer une au jardin. Le moindre craquement m’effraya. Au fil du temps cette peur s’est estompée.

Premiers pas ?

Les récits d’explorateurs, Paul-Emile Victor, Haroun Tazieff, Stevenson, m’ont soufflé ce que je voulais devenir. Il faut revenir 70 ans en arrière et imaginer, nous n’avions pas les moyens d’aujourd’hui. Le militaire était la seule possibilité d’ouverture sur le monde pour nous, gamins du fin fond de la campagne. J’ai intégré l’armée, été muté à Berlin sans savoir nager.

Quatre ans plus tard, j’étais maître-nageur sauveteur. J’avais la rage de vivre, je ne suis parti de rien, d’absolument rien. Les difficultés de mon enfance, cette phase difficile que je ne souhaitais à personne, m’ont permis de parcourir ce chemin. Huit championnats du monde et huit championnats d’Europe de triathlon en vétéran, des dizaines d’expéditions, le prix mondial d’exploration des contrées oubliées et de paix dans le monde, après Jacques-Yves Cousteau, Mikhaïl Gorbatchev, Al Gore ou Nelson Mandela.

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L’accident et la mort ?

En expédition, l’espérance de survie prend le dessus. Le danger passé, une réaction nous ramène parfois à la peur. Certains moments ont été chauds mais je ne l’ai jamais réellement éprouvée.

Aventure de couple ?

Ma femme joue un rôle fondamental dans la réussite de nos expéditions. Elle est un énorme soutien moral et le féminin à la rencontre des communautés éloignées apporte quelque chose de beaucoup plus ouaté, les contacts se nouent beaucoup plus en profondeur que si j’avais été seul.

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Plaisir et liberté ?

Le prix à payer est très lourd. Ma première expédition chez les Papous de Nouvelle-Guinée nécessita deux ans de travail mais seul le but compte. Une forme d’exaltation s’installe lors de la préparation qui s’évanouit quand cesse le cheminement, pour renaître plus loin. Une sorte de jouissance qu’on ne connait que quelques fois dans sa vie.


Proche des gens de 20 ans ?

Je suis frappé quand dans ma boîte aux lettres je trouve un prospectus pour emmener en voyage les aînés… Je me sens très bien dans le cadre sportif avec tous les jeunes que je rencontre. Si l’on s’assagit en prenant de la bouteille, ça ne me concerne pas. J’ai conservé l’état d’esprit de ma jeunesse. L’expérience m’a permis de réaliser mes rêves d’enfant et de rester un éternel adolescent.

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Ton enfance ?

Je suis né à Ivry-en-Montagne, en Côte-d’Or, entre la Nièvre et la Saône-et-Loire. J’ai passé ma jeunesse à Montceau-et-Écharnant avec des bandes de rigolos qui dénichaient les pies et les corbeaux. Une institutrice remarquant mon intérêt pour le globe a stimulé ma curiosité et déterminé la suite de ma vie.

Conseil ?

Vous étudiez d’abord et après vous foncez. J’ai un regret, ne pas avoir pu poursuivre des études. Une chose encore, un proverbe indien qui me plaît énormément : la richesse n’est pas tant ce que l’on possède que ce que l’on donne »

Propos recueilli par Olivier MOUCHIQUEL
(et diffusé sur la gazette de Côte d’Or)
Photographies © Maurice THINEY

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