ÉRIK ORSENNA : TOUT SUR SA MER 1|2 (07.06.2014)

Salons de l’État-major de la Marine à Paris le 21 mai dernier, Érik Orsenna - académicien et écrivain de Marin - prononce une conférence passionnante sur l’aventure maritime. Échos du bord en 5 leçons.

D’emblée, le ton est donné, la glace rompue. «Je dois énormément à la mer. Moi le titi parisien !» lance, goguenard, Erik Orsenna à son auditoire avant de préciser ses liens l’unissant avec les océans : «Depuis l’âge de 3 mois, je fricote avec la mer tous les étés grâce à une maison de famille à Bréhat dans le nord Bretagne».

Quant à son premier «bateau gris», l’académicien s’en souvient parfaitement : «C’était un porte-avions : le Bois-Belleau ! J’en ai un parfait souvenir».

Le verbe haut, le ton souvent malicieux, avec la verve que lui connaissent ses admirateurs, le «griot de Bréhat» (son surnom, car c’est un excellent orateur) poursuit alors sa conférence en insistant d’abord sur les 5 leçons que la mer lui a enseignées.

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Les 5 leçons de mer

#1 LE MOUVEMENT – « La mer, c’est le contraire d’un monde immobile. La marée, les courants, les vagues, la houle… La mer, c’est évidemment le mouvement ! Je l’ai compris très jeune. Rendez-vous compte, pour moi le parisien qui habitait à l’angle de la rue Pasteur et Vaugirard, les seuls mouvements que je connaissais : c’étaient celui des feuilles dans les arbres ou le métro aérien de la ligne 6.


À Bréhat, lieu de mes vacances depuis mon enfance, tout était mouvement. Le ciel, le vent, la mer, le marnage de 10,30 mètres… Le mouvement, c’est également un début et une fin. Cela me fait penser à cette maxime de la sagesse nippone : «Tout ce qui a une forme est appelé à disparaître».

C’est l’inverse de notre pensée en France ! Nous sommes des rentiers de notre grandeur. Autour de nous, le monde a bougé et continue de bouger. À nous de nous retrousser les manches, les océans incitent aux mouvements. C’est la maritimisation. Les océans sont indéniablement des ressources pour notre futur. Nous, Français, disposant du deuxième espace maritime, faisons le savoir à nos compatriotes et à nos décideurs !  Il y a certes un mieux mais continuons à parler des océans pour que nos compatriotes l’impriment bien… » (LIRE LA SUITE)

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#2 LES INTERACTIONS – « Il y a quelques années j’ai enquêté sur le Gulf Stream[1]. J’y ai appris les bases de l’océanographie, les courants chauds et froids. Autant d’horloges dictant les régimes des vents et les mouvements des océans.

La mer n’est évidemment pas un monde homogène. En régate, il s’agit d’ailleurs de savoir lire un plan d’eau, d’y repérer les éléments favorables qui sont tous en interaction. J’aime cette citation d’un explorateur célèbre, un génie méconnu, Alexandre de Humboldt [2] : « Il avait une disposition de l’être à contempler dans leurs liaisons mutuelles un grand nombre d’objets à la fois ». Les marins savent appréhender ses interactions. Ce sont donc  évidemment des êtres éminemment intelligents !»

#3 LA LIBERTÉ – « C’est la leçon la plus évidente. Les océans, derniers espaces de liberté… D’ailleurs, mer et littérature sont assez semblables. Dans les deux cas, il y a souvent pas de chemin tracé. Le livre créé sa route comme le bateau.

La page blanche, c’est le plan d’eau. Lorsque l’on hisse la voile, c’est comme lorsque l’on commence à écrire sur une page blanche. Il faut la même humilité. C’est à la fois vertigineux et merveilleux… »

#4 LA SANCTION – « En mer, lorsque vous commettez une erreur, vous le payez comptant ! C’est pareil en haute montagne. Est-ce que cependant le danger est le même. Les alpinistes disent qu’ils sont en prises direct avec les éléments. Qu’ils ne bénéficient d’aucune protection à l’inverse du marin disposant d’un cocon protecteur : son bateau. D’ailleurs, un marin a un lien quasi charnel avec son bateau. Quant à la notion de risque,  la sanction frappe, à mon sens, autant les alpinistes que les marins »

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#5 L’ÉQUIPAGE – « La valeur d’un équipage se mesure au niveau du plus faible. L’objectif, c’est d’’élever le niveau du plus faible. Ce sont des valeurs aux antipodes de celles du monde des terriens, de celui des requins de la finance, de la politique ou de l’entreprise. Des vertus dont ces derniers devraient d’ailleurs s’inspirer… »

 

BILAN – « Mouvement, interactions, liberté, sanction, équipage… Plus qu’une morale, ce sont des valeurs qui inspirent mon parcours et mon quotidien et que je tente de suivre

(LIRE L’ÉPISODE SUIVANT)



[1] :      Portrait du gulf stream, Eloge de tous les courants d’Erik Orsenna, 2005. 252 pages - 18.80 € (Seuil)

[2] :    (1769-1859) Naturaliste, géographe et explorateur franco-prussien. Par la qualité des relevés effectués lors de ses expéditions notamment durant plus de cinq ans dans les colonies espagnoles d’Amérique, les spécialistes considèrent qu’il fondé les bases des explorations scientifiques.

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