INUIT-BREIZH CONNEXION #3 LE CONSTRUCTEUR (01.04.2017)

Une singulière connexion existe entre bretons et inuits. Embarquements est allé à la découverte de cette étonnante complicité autour d'une passion commune : le kayak de mer. Le récent festival Rêves Arctiques à Trégastel en est une belle illustration. Portraits de trois figures tutélaires – et bretonnes - de cette pratique, millénaire pour les uns, récente pour les autres. Troisième rencontre avec le Constructeur Alain Kerbiriou.

Alain Kerbiriou, dit le Louis Vuitton du kayak de mer, a établi son atelier au Hézo sur les rives du Golfe du Morbihan. C'est là que kayaks traditionnels profilés à l'extrême et d'autres en somptueux bois latté prennent forme sous les mains agiles de l'artisan.

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[Embts] : Lorsqu'on vous voit dans l'atelier, on a du mal à vous imaginer ailleurs qu'au milieu des copeaux de bois, des rabots et des scies ?

[AK] : Ma passion pour le bois et en particulier pour les bateaux en bois vient de mon enfance finistérienne. On partait pêcher sur un misainier ou un côtre. Avec ces vieux grééements, il y a toujours à bricoler, à réparer. C'est là que j'ai fait mon premier apprentissage du bois. Puis j'ai découvert le Golfe du Morbihan en même temps que le Kayak de mer ! On m'avait offert un stage de kayak à la fin des années 80. J'ai été sous le charme du pays armellois, de l'ambiance particulière qui règne sur le golfe lorsqu'on y navigue au ras de l'eau. J'avais déjà un bon sens marin, j'ai tout de suite adopté le kayak.

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[Embts] : Parlez nous de votre découverte de la pagaie traditionnelle groenlandaise.

[AK] : Pour moi qui était amoureux du bois et des vieux grééments, le kayak en polyesther est devenu rapidement insuportable. Alors j'ai décidé de m'attaquer aux pagaies. J'ai commencé mes premières pagaies en bois, et j'ai cru inventer une pagaie révolutionnaire en fabriquant une pagaie longue , plate et non vrillée comme celles utilisées classiquement et que je trouvais absurdes. J'ai même voulu déposer un brevet.

C'est en développant l'activité que je me suis plongé dans la littérature et que j'ai découvert que j'avais tout simplement réinventé la pagaie traditionnelle, celle que les groenlandais utilisaient depuis des siècles ! J'étais presque déçu mais aussi très intrigué.

[Embts] : De la pagaie groenlandaise, vous êtes passé à la construction du kayak traditionnel ?

[AK] : J'ai commencé à m'intéresser à la technique du strip-planking, j'allais traîner dans les salons spécialisés en Angleterre. Mais c'est lors d'un rassemblement de bateaux traditionnels à Douarnenez à Port-Rhu que j'ai découvert le kayak traditionnel groenlandais à armature de bois ligaturé et toile cousue. Je venais de trouver ma voie.

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[Embts] : Sur la table de dessin, dans la bibliothèque de l'atelier, on peut voir nombre d'ouvrages de référence sur les différentes embarcations traditionnelles inuits.

[AK] : Début 2000, j'ai reçu une commande de Baïdarka – l'équivalent du kayak dans les îles aléoutiennes. On m'avait envoyé de très mauvais plans, basés sur une baïdarka du musée de Léningrad. J'ai compris que tout restait à faire en matière de construction traditionnelle. Heureusement la littérature est extrêmement précise. Ces livres sont ma bible, c'est un trésor inépuisable.

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[Embts] : Vous avez fait la rencontre d'un jeune groenlandais champion dans son pays.

[AK] : C'était en 2007, à l'occasion de la manifestation Pagaia organisée par le club de kayak catalan. Maligiaq Johnsen Padilla devait y faire une démonstration et il avait besoin d'un kayak. Maligiaq est un immense champion vénéré au Groenland, qui a gagné 10 fois les championnats groenlandais. C'est également un constructeur hors-pair.

Je lui ai construit un qajaq dans les règles de la tradition, exactement à ses mesures. Il était très exigeant car il devait effectuer une manœuvre particulièrement risqué, le tracté de morse. Ce fut un vrai succès et mon kayak a été adoubé par le champion.

Je sens une vraie complicité avec Maligiaq, comme avec son aîné groenlandais Kampe Absalonsen qui lui aussi a visité mon atelier et m'a prodigué ses conseils.

Grace à eux, grâce à cette passion que nous partageons, j'ai aujourd'hui construit une centaine de kayaks en bois, en bois et toile, baïdarka, qui naviguent partout en France, en Espagne, en Italie et même sur le lac de Genève. D'ailleurs, vous pouvez venir respirer l'ambiance inuit en venant construire votre propre Qajaq dans mon atelier !

Episode précédent : Le pape du kayak de mer

Crédit photo : Diagonale Groenland, Alain Kerbiriou
Propos recueillis par Dominique Simonneau

PS : Alain propose des stages de construction de kayak groenlandais dans son atelier. Une semaine sur place et vous repartez avec un kayak à vos mesures. Nous avons testé, voir ici.
Pour contacter Alain : 06 65 45 12 35.

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