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L’ESPRIT D’AVENTURE | PATRICE FRANCESCHI
Ce n’est pas le seul mot qui ait été vidé de son sens par notre époque comptable. La notion d’aventure évoque aujourd’hui au mieux des exploits sportifs, au pire des émissions télés qui exploitent «l’extrême». Il ne reste rien de la découverte et de l’émerveillement du monde, de la rencontre avec l’étranger et de leur connaissance. Mais cette aventure-là est-elle d’ailleurs encore possible voire souhaitable ? Explorateur, écrivain, cinéaste et marin, Patrice Franceschi (LIRE SON PORTRAIT) répond à cette question (sa favorite) de façon étayée. Extrait d'un entretien paru sur le très étoffé blog Ragemag.
Il y a dix ans, dans un livre avec Gérard Chaliand et Jean-Claude Guilbert, De l’esprit d’aventure, tu parlais de ces qualités qui font qu’on peut qualifier quelqu’un d’aventurier. Comment le définis-tu ?
Je tourne effectivement autour de cette question depuis trente ans. La métaphysique de l’aventure est la seule chose qui m’intéresse. Nos sociétés se sont bâties, sans qu’on s’en aperçoive forcément, sur l’esprit d’aventure comme moteur individuel et collectif de toute l’expansion humaine dans ses bons et mauvais côtés pendant deux millénaires au moins. Il met en œuvre quatre grandes vertus au sens grec d’arêté, principe d’excellence.
Ce sont les goûts de la liberté et de la connaissance, une volonté de non-conformisme et une capacité au risque. En les réunissant, on a l’esprit d’aventure qui anime aussi bien des marins que des alpinistes ou des philosophes. Ainsi Kant, qui n’a jamais bougé de sa vie de la ville de Königsberg mais qui en écrivant sa Critique de la raison pure a réalisé une révolution copernicienne de toute la pensée. L’esprit d’aventure ne rime pas avec l’exotisme. Il ne faut pas sous-estimer le courage incroyable nécessaire pour penser, dire le monde qu’inventent les grands philosophes, l’esprit d’aventure dont ils font preuve.
« L’esprit d’aventure ne rime pas avec l’exotisme »
On n’a pas aujourd’hui l’impression d’être dans un monde très favorable à cet état d’esprit…
« Je ne voudrais pas avoir 20 ans aujourd’hui. Avant, ce n’était pas le paradis mais il y avait un sentiment de liberté, une énergie qui poussait à prendre des risques. Le bon remède, c’est remettre un peu d’idéalisme dans tout ça. »
Dans nos pays, c’est exact. Mais dans les pays dits émergents, ou ré-émergents comme pour la Chine car c’est une antique civilisation, on peut constater sa formidable vitalité. Avec un bémol, il est essentiellement investi pour l’instant dans l’économie. Chez nous, le problème se pose différemment.
Si pour un jeune, la réponse à la question du sens de sa vie se réduit à gagner plus pour consommer plus, la perspective n’est pas enthousiasmante. Je ne voudrais pas avoir 20 ans aujourd’hui. Avant, ce n’était pas le paradis mais il y avait un sentiment de liberté, une énergie qui poussait à prendre des risques. Le bon remède, c’est remettre un peu d’idéalisme dans tout ça. La jeunesse serait un peu plus à l’aise dans ce qu’elle fait et dans ses révoltes.
Est-ce précisément pour refaire de la place à cet idéal de l’aventure que tu diriges une nouvelle collection au Seuil qui lui est consacrée ?
Bien sûr. Je veux faire rééditer des textes fondamentaux qu’il faut continuer de faire connaître et transmettre. Ils vont éveiller les esprits comme ils l’ont fait jusqu’ici. La littérature, la philosophie, la poésie ont des choses essentielles à nous dire. Il y a un vrai combat entre l’intelligence et la consommation qui passe par la réflexion. La littérature, plus que jamais, est subversive. Elle dit le moi, la liberté, la vie et va à l’encontre de ce que veulent les pouvoirs d’argent : transformer les citoyens en consommateurs.
Ma collection, en édition poche pour être accessible, répond à cet objectif (LIRE LA CHRONIQUE). Elle compte six titres pour l’instant avec, entre autres, Boréal de Paul-Émile Victor, Dernières nouvelles du sud de Luis Sepúlveda et Daniel Mordzinski qui racontent la Patagonie, La pointe du couteau, autobiographie de Gérard Chaliand, spécialiste de terrain en guérilla et en géopolitique, ou bien encore l’irrésistible Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes dans lequel l’Américain Robert M. Pirsig relate une virée en Californie d’un père et de son fils où il est autant question de carburateur que de philosophie.
Un ouvrage collectif donne la parole à onze hommes d’horizons différents sous l’intitulé L’aventure pour quoi faire ? et peut se lire comme son manifeste. Ce que je vais percevoir financièrement avec cette collection est sans doute ridicule mais je veux gagner cette bataille.
À 58 ans, j’essaie aujourd’hui d’être un passeur de témoin. L’humanisme, qui est la chose la plus attaquée, est en réalité la plus précieuse. L’esprit d’aventure peut le renouveler, changer la société.
Un entretien à lire en intégralité sur le blog Ragemag
› BONUS
Elle lui chantera peut-être : «Emmenez-moi au bout de la terre, emmenez-moi au pays des merveilles?». Emmanuelle Dancourt reçoit l'étonnant - écrivain-voyageur - Patrice Franceschi. Le capitaine du trois-mâts La Boudeuse publie deux ouvrages : «la dernière manche» (La table ronde) et «La grande aventure de la Boudeuse» (Plon). Ecoutez les confidences de Patrice Franceschi distillées durant cette émission diffusée sur KTO.