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LA MAISON BRULE ET NOUS REGARDONS AILLEURS ?
Olivier Archambeau est géographe et président de la Société des Explorateurs Français. D'ordinaire réservé et pondéré, il a voulu cette fois réagir à propos de la récente démission de Nicolas Hulot et engager des pistes de réflexion.
« Paris, le 6 septembre 2018
Chers membres de la Société des explorateurs français, chers tous, Nicolas Hulot, ministre d’Etat, ministre de la Transition écologique et solidaire et, par ailleurs, membre de la Société des explorateurs français depuis de nombreuses années, démissionnait du gouvernement.
Son geste, il l’a précisé lui-même, ne doit en aucun cas être interprété comme un renoncement, encore moins comme un abandon de ses idéaux… bien au contraire. Ceux qui le connaissent savent que ce personnage très apprécié des Français est un vrai courageux, un esprit libre et qu’il n’est pas homme à abandonner quoi que ce soit.
La Société des explorateurs français vient de fêter ses 80 ans et depuis 1937, date de sa création, les femmes et les hommes qui en font partie ont toujours eu pour principal objectif de faire découvrir la planète à leurs contemporains.
De Paul-Emile Victor à Théodore Monod, d’Ella Maillart à… Nicolas Hulot pour les plus connus, qu’ils aient été ou qu’ils soient scientifiques, journalistes, réalisateurs de documentaires, cosmonautes ou écrivains voyageurs, ils ont d’abord raconté le monde au plus grand nombre en mettant l’accent sur sa beauté et son incroyable diversité.
Puis, au fil des décennies, tous ont constaté l’inexorable dégradation de notre planète ; une situation qui amène Jacques Chirac, alors Président de la République française à prononcer cette fameuse phrase lors du 4e sommet de la Terre à Johannesburg en 2002 : « La maison brûle et nous regardons ailleurs ».
Aujourd’hui, au sein de la Société des explorateurs français, ce sont des personnalités comme Lucile Allorge (botaniste), Etienne Bourgois (Tara Expéditions), Robert Calcagno (Musée océanographique de Monaco), Christian Clot (projet ADAPTATION), Bruno David (Muséum national d’histoire naturelle), Patrick Deixonne (Expédition 7ème Continent), Raphaël Domjan (SolarStratos), Jean-Louis Etienne (Polar Pod), Patrice Franceschi (écrivain, capitaine de la goélette La Boudeuse), Philippe Frey (ethnologue), Stéphanie Légeron (photographe), Luc Marescot (réalisateur) ou encore Bertrand Piccard (Solar Impulse) (pardon à ceux que je n’ai pas cités), qui, chacun dans son domaine et ses projets, travaillent et alertent sur les enjeux environnementaux et la fragilité du monde.
Si le paradoxe veut que la démission de Nicolas Hulot mette en lumière la nécessité de toutes ces actions, son départ reste avant tout la traduction d’une confiscation des pouvoirs sur des sujets qui engagent l’avenir de la planète et celui des générations futures.
C’est la traduction directe de l’incompatibilité qui existe la plupart du temps entre lobby et intérêt général, c’est la preuve malheureuse de la faiblesse du politique au sens noble du terme, c’est-à-dire la gouvernance de la cité avec une vision d’avenir, face à une certaine forme d’économie mondialisée et de puissants intérêts nationaux ou particuliers.
Pour ne plus être le ministère de l’impossible, le ministère de la Transition écologique et solidaire aurait tout intérêt à être rebaptisé « ministère de l’Avenir solidaire » et ne plus être transversal comme on l’a trop souvent entendu, mais bien central.
Déclin massif de la biodiversité, acidification des océans, accroissement du CO2 dans l’atmosphère, pesticides mortels, surexploitation des richesses halieutiques, déforestation à grande échelle, raréfaction de l’eau potable, population mondiale qui flirte avec les 7,5 milliards d’habitants (sujet sensible et par ailleurs trop peu souvent évoqué) sont des problématiques maintenant bien connues.
Désormais, la démission de Nicolas Hulot a le mérite de mettre l’exécutif, mais aussi la société française toute entière, face à ses responsabilités.
Après cette action, aucun parti politique, aucune femme, aucun homme qui acceptera des responsabilités en politique ne pourra dire qu’il ne savait pas.
C’est peut-être là, Monsieur le Ministre d’Etat, l’une de vos plus belles réussites ».
Olivier Archambeau
Président de la Société des explorateurs français