Lancé en 2007, le blog Embarquements cesse momentanément ses parutions.
MICHEL BEZ : L’ADIEU AU MAITRE
Artiste et peintre officiel de la Marine depuis 1987, Michel Bez (1951-2018) vient de nous quitter. Hommage au « Maître » et à un ami.
La mauvaise nouvelle, je l’ai apprise à peine le pied posé en Polynésie Française.
Le voyage avait été comme de coutume éprouvant : Paris / Papeete, via San Francisco, soit 24 heures de voyage, transit compris.
Je savourais tout juste mes premiers instants et le climat tropical ambiant (21°C à 5 heures du matin) que mon hôte, Serge Thébaut, ancien marin et rédacteur en chef de Cols Bleus, le journal de la Marine, m’annonçait la mauvaise nouvelle :
- Michel est mort !
- Mich…
- Oui, Michel Bez cette nuit, pendant que tu étais en vol...
Les mots ont d’abord eu du mal à résonner dans ma tête. Le « Maître » n’est plus, et je n’ai pas voulu réaliser même si je savais que ces derniers mois le combat contre la maladie avait été apre et douloureux.
Le « Maître », c’est par cette appellation officielle qu’il est d’usage à bord d’un bâtiment de la Royale d’appeler un peintre officiel de la Marine. Un titre auquel Michel Bez tenait et qu'il affectionnait.
Michel, je le connais depuis bientôt 20 ans. C’est en 2002 que nous avons réellement fait connaissance lors d’un reportage à bord du trois-mâts « Belem » en Amazonie.
Lui avait embarqué en qualité de peintre de la Marine et d’artiste de l’expédition conduite par les trublions de l’association Jules Verne Aventures. Moi, j’y étais en qualité de reporter de Cols Bleus, l'hebdomadaire alors de la Marine. Nous avons ainsi lié amitié.
Le musicien John Scott et Michel Bez accoudé au bastingage du trois-mâts Belem © Stéphane Dugast
Je suis ensuite souvent venu à son atelier exigu du numéro 8 de la rue de Turin à Paris, derrière la gare Saint-Lazare. C’était d’ailleurs l’un de mes prétextes préféré pour m’échapper du 2, rue royale et de ses pesanteurs.
C’est à l’autre bout du monde, dans le Pacifique, que nous avons vécu un embarquement commun inoubliable sur le Bâtiment de TRAnsport Léger (Batral) de la Marine nationale « Jacques Cartier ».
Ce bateau logistique nous a emmenés, un mois durant, explorer le Vanuatu, un archipel situé au nord-est de la Nouvelle-Calédonie.
Grâce à la fougue et à l’audace du commandant, Luc Gander, la mission « Castor 2005 » a été l’une des plus intenses et exotiques que j’ai vécue. Avec Michel, nous nous sommes régalés. Et nous avons beaucoup ri tant nous avons croqué la vie à pleines dents.
Appareillage du Jacques Cartier, port de Nouméa (Nouvelle-Calédonie) © Stéphane Dugast
Les amateurs de batailles navales ricaneront, tant cette mission n’avait rien de guerrière. Pensez-donc, il s’agissait pour les marins d’aller reconnaître des sites de plageage possibles sur des îles isolées en cas d’évacuation sanitaire à cause de leur activité volcanique très intense.
Mieux, l’ambassade de France à Port-Vila avait monté cette année-là une opération consistant à embarquer des conteurs et des musiciens à bord du « Jacques Cartier ». Leur rôle consistant à faire rayonner la francophonie à l’occasion des escales nombreuses. Clou de la mission ? Le « coquetèle» polynésien du commandant mais surtout la remise d’une aigrette cérémonielle du chef de la tribu de l’île de Tanna au pied du mont Yasur. Un objet d’art destiné à être offert au quai Branly à Paris.
Bref, cette mission « Castor 2005 », nous ne pouvions évidemment la vivre qu’avec gourmandise et plaisir.
Le "coquetèle" exotique du commandant du Jacques Cartier, Port-Vila (Vanuatu) © Stéphane Dugast
Les rires du « Maître » résonnent encore dans mes oreilles. Car, ma naïveté et ma fraîcheur le faisaient souvent rire, lui le pince-sans-rire. A terre ou en mer, nous avons eu loisir de nous confier chacun et de vivre des heures exaltantes lors de ce voyage hors tu temps.
Parfois, la mission a pris des tournures insolites. Comme ce jour sur l’île de Tanna où un producteur franco-libanais a demandé sans ciller à Michel de porter un béret basque et d’aller sur la plage voisine pour y peindre sa prochaine œuvre sur une toile posée sur un chevalet. Il s’agissait d’une scène phare du film documentaire, la réponse du « Maître » n’a pas tardé à fuser : « Et avez-vous aussi pensé à la baguette de pain et au litron de rouge ? Soyons sérieux un instant… ».
Sur le « Belem » © Michel bez
Pour le reste, j’ai écouté Michel des heures durant me parler de sa peinture, de son art et des horizons lointains.
Il a aussi été question de ses envies, lui qui a lié sa vie à la mer, aux marins et au monde militaire. Michel était également un fin connaisseur des calvaires bretons et de symbolique religieuse.
Personnellement, j’ai préféré son travail d’illustrateur, ce qui l’agaçait d’ailleurs surement. Notre saga au Vanuatu, soit mon reportage publié en feuilleton dans Cols Bleus, le journal de la Marine, est un bijou du genre. Ma plume et mes clichés sont magnifiés par ses dessins.
Le « Maître » était résolument atypique. Né le 15 mars 1951 à Toulouse, Michel Bez n’a pas fait les Beaux-Arts. Autodidacte, il s’est adonné à la peinture dès ses 16 ans avant de rapidement se consacrer entièrement à son art.
Nommé peintre officiel de la Marine en 1987, il sera 12 ans durant le président de l'Association des peintres officiels de la Marine.
Exposition et vernissage © Philippe Lebrenne
Outre ses activités artistiques, ce docteur en droit a aussi été professeur : de 1993 à 1995, sur le porte-hélicoptères Jeanne d'Arc (l’école d'application des élèves officiers de la Marine), dispensant un enseignement sur l'optique plastique et la pratique du dessin.
De 1995 à 2000, il est devenu professeur à l'École des hautes études commerciales (HEC), où il a enseigné l'optique plastique, l'analyse de l'image et la sémiotique visuelle.
Michel Bez était membre de l'Académie de Marine, chevalier dans l'ordre des Arts et des Lettres. C’est lui qui avait eu plaisir à m’annoncer que j’étais lauréat du prix du Beau-Livre de l’académie de Marine avec « Porte-hélicoptères R97 - Jeanne D’arc ». J’étais fier lui aussi. Je l’ai invité à nombre de mes lancements. Il y est toujours venu, sauf ces dernières années où il avait élu domicile à Sète.
Dans son œuvre très éclectique, j’aime donc ses illustrations, dont celles évidemment du Vanuatu, celles pour La Poste déclinées en un diptyque de deux timbres rendant hommage au porte-hélicoptères R97 Jeanne d’Arc ou encore celles de son livre illustré « Lexique poétique maritime » paru chez Arthaud.
L’hiver dernier, je lui avais parlé au téléphone. Sa voix était érayée et son ton un brin las, son combat contre la maladie l’éprouvait incontestablement. Mais il m’avait assuré que le plus dur était derrière lui. Je l’avais cru en lui promettant de passer à Sète dès que cela me serait possible.
« De toute façon, je ne viendrai plus à Paris ! », m’avait-il lancé comme un défi. Je n’ai pas tenu ma promesse. Et c’est à Papeete en Polynésie que j’apprends sa mort. C’est cruel mais c’est ainsi.
Port Vila, capitale du Vanuatu © Stéphane Dugast
Ce soir, face à l’océan, je tournerai le regard vers le couchant en pensant à toi Michel. Le ciel s’embrasera de mille et une couleurs, j’y compte bien. Comme un hommage à tes toiles.
Je m’imprégnerai du moment bercé par les alizées venant faire frissonner les feuilles des cocotiers. Puis, les ténèbres envahiront les lieux, cachant les ombres de l’île voisine de Moorea et le reflets sur les eaux du lagon.
Au loin, le ressac de la barrière de brisants se fera plus bruyant. Tout deviendra subitement moins paisible.
En mer © Stéphane Dugast
C’est là, à coup sur, que les souvenirs et les images se bousculeront dans ma tête. Le Brésil, Paris, le Vanuatu, le Jacques Cartier, ton atelier, nos discussions, ta voix…
Alors, je pleurerai de chagrin. Ton rire résonnera dans mes oreilles se mêlant aux bruits de l’océan et de la nature.
Plus tard, les yeux perdus dans le ciel, j’y verrai ton étoile briller très fort. Les forces de l’esprit nous rapprocheront. La communion sera alors totale.
Adieu « Maître ».
Stéphane Dugast
Photographie une © Philippe Lebrenne
A Punaauia (Polynésie Française), le 23 septembre 2018.
Commentaires
Bonjour,
Je suis un ami de Michel depuis la faculté,nous nous sommes retrouvés à Paris. Revenu à Toulouse depuis quelques années j'étais très heureux de son installation sur les hauteurs de Sète d'où il pouvait contempler la mer à satiété. Je l'ai revu avant l'été et moi aussi j'étais optimiste, je devais aller le revoir début octobre, je ne pensais pas y revenir si vite pour l'enterrer. J'aimais profondément la personnalité et la peinture de Michel l'une était le reflet de l'autre . J'ai sept grandes toiles de Michel qui sont à l'image de toutes ses grandes étapes et ses idées sur la peinture. Pour tout dire j'ai beaucoup de peine et de tristesse également pour sa femme et ses deux fils.
Bien cordialement.
Pierre Saabtier
Merci de votre témoignage
Comme vous, je suis très triste et inconsolable
SD
Un "Maître" s'en va, peignant un horizon de son ombre et dans le ciel une étoile s'éteindra. Chaque artiste a une étoile qui porte son nom, bien plus beau que celui que la science lui attribue. Maître Michel, cela résonne comme le surnom d'un compagnon dont le tour de France s'est étendu au monde en naviguant sur tous les océans.
Bon vent, Maître.
JMB