L’OBSESSION DE L’OURS

«Géopolitique de l'ours polaire» : c’est un livre-enquête écrit à quatre mains par deux spécialistes des pôles. Il y est question de sa Majesté de l’Arctique symbolisant à lui seul nombre d'enjeux environnementaux dans le Grand Nord.

Approcher l’ours polaire, ou mieux poser à ses côtés, garantit prestige et immunité écologique. Ainsi Vladimir Poutine, alors premier ministre de la Russie, n’a-t-il pas hésité à poser fièrement, en avril 2010, au côté d’un ours polaire - une femelle en fait anesthésiée par des scientifiques -  sur l’archipel François-Joseph, à l’extrême nord de son pays.

Pour le grand public, l’ours polaire est d'ailleurs la principale victime de la réduction de la surface des glaces de mers estivales qui couvrent l’océan Arctique au point que des spécialistes prévoient leur disparition d’ici à 2050. Cette absence de banquise oblige ainsi l’animal à parcourir des centaines de kilomètres à la nage, et le prive de point d’appui pour sa chasse aux phoques. Affamé, l’ours polaire amaigri  symbolise parfaitement les effets désastreux des effets du réchauffement climatique. La vérité est cependant plus complexe.

Chez les peuples du grand Nord, l’ours polaire - nanouk - est, en effet, à la fois une proie que l’on chasse depuis des millénaires et une divinité depuis des temps immémoriaux. Sa chasse répondant autant à des questions de survie que de prestige.

Les biologistes estiment, quant à eux, sérieuses les menaces pesant sur cet animal, dont la population est estimée à 20 000 ou 25 000 individus. La faute à la chasse, au braconnage ou encore aux polluants qui se concentrent dans les tissus de l’animal, ultime maillon de la chaîne alimentaire.

Quant aux historiens et aux écrivains, ils associent invariablement la chasse à l’ours à l’esprit de conquête qui animaient les explorateurs d’antan tentant de prendre pied en Arctique, et convoitant ses ressources prometteuses, dont les phoques, les baleines, les morues et bien évidemment l’ours polaire.

Autant d’approches et de considérations prouvant que le plus grand carnivore terrestre et l’espèce humaine sont à la croisée des chemins. Une preuve également que la question de l’ours polaire pose des problématiques autant environnementales que territoriales. C'est en tout cas cette problématique de l'ours polaire qu'épouse les deux auteurs de la Géopolitique de l'ours polaire, la traitant avec précision et exhaustivité.

L’ours polaire est donc bien un animal «géopolitique» - considéré à tort et à raison - parfois comme une victime, parfois comme un coupable et désormais souvent comme un porte-étendard dans nos sociétés occidentales.

Des visions tronquées et partielles que cet ouvrage contribue à mettre en lumière et surtout à décortiquer, voire à détricoter. Il faut dire que les deux auteurs connaissent parfaitement leur sujet et ses enjeux. de surcroit, ils évitent les pièges, en ne versant ni dans le sensationnel, ni dans le manichéisme. Par les temps qui courent, ce livre est une aubaine. Une œuvre fort précieuse et utile.

› QUI SONT LES AUTEURS ?

Rémy Marion est un consultant et spécialiste des régions polaires dont il est passionné depuis plus de trente ans. Il est également conférencier, photographe. Il a écrit des ouvrages (dont Dernières nouvelles de l’ours polaire, Pôles d’images) sur les régions arctique et antarctique et leur faune tout en réalisant plusieurs films documentaires. Il est membre de la Société de Géographie. Il est aussi l’organisateur, depuis 3 éditions, d’un colloque dédié à l’ours polaire et son environnement en Arctique, dont récemment à l’Unesco à Paris.

Farid Benhammou est, quant à lui, docteur en géographie de l’environnement, professeur de géographie et géopolitique en classe préparatoire au lycée Camille Guérin et chercheur associé au laboratoire Ruralités à Poitiers. Il est un spécialiste des relations et de la cohabitation entre l’homme et les grands prédateurs d’Europe (ours, loup, lynx). Il est l’auteur de Vivre avec l’ours (Hesse).

Photographies © Rémy Marion 

› À LIRE
Géopolitique de l'ours polaire de Rémy Marion et Farid Benhammou. Un livre accompagné d’un cahier de 16 pages avec des photographies de Rémy Marion et 8 cartes réalisées par Pascal Orcier. 188 pages - 20 € (éditions Hesse).