Lancé en 2007, le blog Embarquements cesse momentanément ses parutions.
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, COURSE À PIED ?
Free to run : c'est un long-métrage documentaire (actuellement en salle) narrant l'histoire de la course à pied hors des stades. Une discipline sportive jeune contrairement aux idées reçues, et dont la genèse en dit long sur le conservatisme et la misogynie ayant longtemps prévalu dans nos sociétés modernes occidentales.
Je cours, tu cours, vous courez ? J'aime courir au moins une fois par semaine. J'aime ce sport (que l'on a longtemps appelé d'abord «jogging»). D'abord pour sa simplicité d’emploi. A l'inverse de la natation, ou du vélo, c'est un sport qui nécessite une logistique réduite. Une paire de running, un short et un tee-shirt, et en quelques minutes vous vous métamorphosez en coureur. Le plus dur, c'est souvent de se motiver pour y aller !
J'aime courir dans les bois ou sur des chemins. C'est pourtant à Paris et sur le bitume que je cours le plus souvent. Mais, j'éprouve quoiqu'il en soit du plaisir. Courir me défoule, me déstresse et me relaxe. J'aime courir et faire vagabonder mes pensées. Mon cerveau est en ébullition, entre l'esquisse de grands projets et des pensées plus terre à terre comme ce point de côté à gérer, cette douleur brutale à la voûte plantaire, le nombre de kilomètres restant à s'avaler…
Bref, j'aime courir, car cette discipline me permet de me surpasser ou plutôt de me confronter à moi même.
ATHLÈTE MODESTE MAIS BON CONNAISSEUR JE CROYAIS ÊTRE !
Je cours régulièrement depuis plus de 20 ans. Je participe parfois à des compétitions sur route, et plus rarement sur chemin. Je suis un modeste pratiquant en termes de performances. Ce qui m'intéresse, c'est de mettre un pied devant l'autre pour me dépenser physiquement tout en écoutant un bon podcast (mes préféré «Affaires Sensibles» de Fabrice Drouel ou «L'oeil du Tigre» de Philippe Colin, deux émission France Inter). Histoire de stimuler le cœur, les jambes et les neurones.
A mon actif : 4 marathons, une dizaine de semi-marathons, une vingtaine de 10 kilomètres, 2 trails… Je participe régulièrement à des compétitions, non pas pour me mesurer aux autres mais pour éprouver cet indicible plaisir à partager des efforts en communauté et surtout à découvrir une ville comme jamais. Courir dans des rues ou le long de des grandes artères vidées de leurs voitures et de leurs 2 roues fait sens.
Malgré ces expériences, bien des plaisirs et des souffrances, je me suis paradoxalement peu penché sur la symbolique (et la métaphysique) et de la course à pied. C'est chose faite grâce à l'excellent documentaire de Pierre Morath qui s’interroge sur l'odyssée de ce sport né dans la contestation. J'ai ainsi fait d'étonnantes découvertes grâce à Free to Run, alors que je pensais prétentieusement tout connaître.
DE DÉCOUVERTE EN DÉCOUVERTE
Dans les années 1960, la course à pied, hors des stades, était le symbole d’une contre-culture réservée à des marginaux qui au lieu de se droguer préféreraient s’envoyer un shoot d’endorphines en cavalant dans les bois et en se cachant des autres. J'ai aussi découvert avec stupéfaction que la course sur des distances plus longues qu'un kilomètre était réservée uniquement aux hommes.
Free to Run raconte l'incroyable odyssée de la course à pied moderne, Mêlant extraits d’archives et interviews contemporaines pour dérouler son propos, ce documentaire est de facture classique mais sa réalisation soignée. Côté style, la narration est assurée «au train» par un Philippe Torreton en grande forme. Le montage est ciselé, moderne et rythmé. Mention à l'habillage élégant.
Outre ces atouts esthétiques, ce documentaire vaut avant tout pour sa narration et son propos «au dessus de la mêlée» ainsi que la mise en lumière de personnages clefs dans la métamorphose de la course à pied en dehors des stades.
Une première histoire m'a ému. Celle d'une pionnière : Kathrine Switzer, la première femme à participer illégalement au marathon de Boston en 1967. Elle est celle qui permettra aux femmes de courir sur des longues distances et ainsi de s'émanciper.
Second personnage iconique : Steve Prefontaine. Ce génie de son sport, surnommé le «James Dean de la course à pied», s’est battu pour que le statut d’amateur des coureurs de fond soit revu. Steve Prefontaine est également l’athlète à l’origine d’un des premiers partenariats de sponsoring avec une jeune marque d'alors : Nike.
Quant au troisième protagoniste, il s'agit de Fred Lebow, le créateur et l'inspirateur du marathon de New York qu'il a su faire rayonner et surtout fructifier. Ce modeste athlète, mais redoutable businessman, a fait de la course à pied un sport mondial et une activité fort lucrative.
UN DOC INTIME, PUISSANT ET HALETANT
Là sont tous les paradoxes de la course à pied hors-stade, symbole à ses débuts de la contre-culture. Au fil des décennie, cette discipline s'est laissé gagnée par la course au profit . Il n'y a qu'à constater le prix d'inscription exorbitant d'un marathon international comme New-York, Londres, Berlin ou Paris, ou le prix des équipements comme les chaussures ou les vêtements techniques. La course à pied est devenue commerciale. Courir n’est plus aujourd’hui l’expression d’un élan libertaire.
Courir c’est retrouver ce qui fait de nous un animal, disent les spécialistes. L’homme sédentaire et urbain court pour ressentir qu’il est à l’unisson de la Nature et de ce qui l’entoure.
SPIRIDON ET SES ÉMULES
D'autres séquences dans Free to Run sont marquantes, comme les images du premier marathon féminin aux jeux olympiques de 1984 à Los Angeles. Il y aussi ce travelling d'un homme chevelu et barbu aux allures de beatnik cavalant libre et à en perdre haleine sur un chemin forestier, seul avec et contre lui-même.
Enfin, j'ai été touché au cœur par le discours et le personnage de Noël Tamini, le créateur et inspirateur du magazine Spiridon. Free to run rappelle l'influence de cette revue suisse qui, de 1972 à 1989, a fait souffler un vent de liberté sur la course à pied.
Revue internationale de course à pied, Spiridon n’a publié que 111 numéros et n’a jamais franchi le seuil des 10 000 abonnés mais son aura paraît immense. Cette revue a marqué son époque et ses lecteurs francophones d'alors, qu'ils habitaient en Suisse, en France, en Belgique, au Québec et même aux États-Unis.
«Les adeptes de Spiridon étaient reconnaissables dans les pelotons à leur maillot orange qui, comme celui des Pays-Bas de Cruyff à la même époque, symbolisait la liberté, la non-soumission aux règles et à ces officiels qui corsetaient alors le sport dans une vision rigoriste et dépassée», précise le journaliste Laurent Favre dans le quotidien helvétique Le Temps.
Et c'est bien là, l'un de mes regrets celui de pas avoir vécu cette époque exaltante et pionnière de la course à pied. Alors je le fais désormais à ma manière, en m'affranchissant des codes en vigueur : préférant souvent un bon vieux short en coton à un cuissard en lycra, ou ma montre à aiguilles à un GPS-cardiofréquencemètre.
La course à pied, c'est la vie ! Je n'éprouve jamais autant de plaisirs qu'à courir - sans écouteur dans les oreilles - au lever du soleil le long de la Rance, dans les environs de Saint-Malo en Bretagne.
Entre mer et campagne, je vois, j'entends et je palpe presque la Nature entrain de s'éveiller. Je me sens alors jamais autant vivant parmi les vivants ! Je respire à pleins poumons, tout en expirant comme un buffle à chaque montée et raidillon. Là sont mon rythme et mes limites.
Heureusement, le film de Pierre Morath m'a rassuré sur un point : la course à pied n'est pas affaire de style et de performance mais d'envie, de passions et de pulsations !
Stéphane DUGAST
Photographies extraites du film Free to Run ©
EN SAVOIR +
Free to run (1h39). Long-métrage documentaire au cinéma depuis le 13 avril dernier. Parce que c'est un film non conforme et qu'il n'est pas assez projeté, soutenez et demandez sa programmation près de chez vous via la page Facebook ou sur le site web Free to Run.
BONUS
Chaque dimanche à 18 heures (et en podcast) sur France Inter, L'oeil du tigre est une émission de radio présentée par Philippe Collin qui raconte autrement le sport. L'émission du 17 avril dernier était consacré au documentaire Free to Run avec Pierre Morath et Cécile Coulon comme invités. Le podcast est à écouter ICI.
Commentaires
Merci pour ce bel article à la gloire de la course décontractée, pas question de rater ce film !
Curieuse histoire que celle du sport féminin et de la misogynie ambiante des années 50-60. Ce ne fût pas toujours le cas et dans les années d'après la première guerre mondiale, le sport féminin s'est épanoui en France et en Europe. Un exemple emblématique : la création de Fémina Sport avec des sections gym, athlé, rugby, foot (oui oui , vous avez bien lu, foot et rugby). Il y avait des fédérations de ces sports féminins Toutes ces demoiselles, (dont ma chère maman) s'entraînaient au Stade Elisabeth entre les périph et extérieurs d'aujourd'hui. Et, le croirez vous, ce Fémina Club plus que centenaire existe encore !
Que s'est-il donc passé pour que la société de consommation naissante renvoie les femmes à leurs fourneaux et considère le sport féminin comme indécent ?
http://feminasportparis.fr/histoire-du-club.html