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DU GRAND POULAIN !
Le grand marin : c'est l'histoire d'une femme libre quittant Manosque et la France pour le bout de l’Amérique. En Alaska, Lili l'héroïne devient pêcheur de morue et de flétan sur le Rebel. Outre la razzia de prix littéraires obtenus ces dernières semaines, ce livre vaut surtout pour son sujet (très maritime), son ton, sa fraîcheur et son naturel. Embarquez grâce à Catherine Poulain qui signe là un premier roman haletant !
Je dois l'avouer d'emblée, je suis jaloux, très jaloux du roman de Catherine Poulain. Rassurez-vous, je n'envie ni son succès public, ni ses nombreux prix littéraires. Car, le public et les spécialistes se trompent rarement. Non, j'envie son titre sobre et élégant (Le Grand marin), sa couverture (puissante et évocatrice) ainsi que son sujet : le récit d'une vie embarquée au large de l'Alaska.
C'est la lecture en diagonale d'une chronique parue dans le magazine Lire qui va chez moi «mettre le feu aux poudres». Pensez donc, un livre de littérature française parlant de mer, d'Alaska, de pêche, d'embarquements, d'escales et d'aventures !
C'est à Lons-le-Saunier, pendant le festival Les Ecrans de l'Aventure, que je passe à l'acte. Je trouve d'ailleurs très chic d'acheter ce roman maritime en terre jurassienne. Et bien, je n'ai pas été déçu !
UNE INTRIGUE SALÉE
Solidement ancrée dans ses décors - l'océan, les bateaux de pêche, les quais et les ports – l'intrigue narre le destin de Lili, une française qui atterrit après un long voyage à Kodiak, ville de pêcheurs en Alaska. Cette femme, que l'on pressent à la fois fragile mais déterminée, s'entiche de devenir pêcheur. Sa quête ? Embarquer à bord d’un de ces bateaux s'en allant pêcher la morue noire, le crabe ou le flétan sur un océan souvent démonté, imprévisible et qui ne pardonne aucune erreur aux travailleurs de la mer.
Pour Lili, les débuts vont être rudes, très rudes. Le froid, les embruns, la méfiance de ses collègues masculins, la promiscuité, l'inconfort, les blessures, les nuits à même le sol sans bannette… Avec une économie de mots mais une efficacité confondante, Catherine Poulain (dont c'est le premier roman) nous raconte une existence âpre et rude, ainsi qu'un apprentissage autant physique que moral.
«Montez à bord, larguez les amarres et plongez dans Le Grand Marin, l’un des meilleurs romans français publiés depuis longtemps. Catherine Poulain navigue sous le pavois de Conrad et London, mais aussi de Lowry et Kerouac. On connaît pire confrérie» (Les Echos.fr)
Le Grand marin, un roman (en partie autobiographique sûrement) fait littéralement embarquer le lecteur aux côtés de Lili projetée dans un monde d'hommes souvent rustres. On navigue dès lors avec appréhension sur les palangriers ballottés par les flots d'un océan tumultueux. A terre, on titube à la sortie des bars avec Lili et ses potes.
Défilent sous nos yeux une autre Amérique, l'Alaska, ses paysages grandioses et des scènes pathétiques comme ces femmes âgés – des native american - devenues des piliers de bar.
Avec chair et consistance, Catherine Poulain écrit son récit sans effet de manche, ni pudibonderie. C'est là tout son art et toute sa force !
LA MUSIQUE DE LA LITTÉRATURE
Chaque écrivain a sa langue, ses mots, sa rythmique, sa mesure et pour ne pas dire sa «musique». Celle de Catherine Poulain m'a d'abord heurté. «Sujet-verbe-complément», la construction de ses phrases très répétitive et son style haché, voire syncopé, m'ont rebuté. J'en ai saisi la mélodie que progressivement, aidé notamment par son art à croquer un personnage en peu de mots, ses dialogues ciselés et des formules incroyablement poétiques.
A l'exception d'une longue séquence pourtant très sensuelle avec le Grand Marin, dont l'héroïne s'éprend, je n'ai guère lâché ce roman. Le style Poulain sans nul doute ! Il n'y rien d'inutile, rien de gratuit, ni de futile mais une somme de détails narrés avec des mots (et des adjectifs qualificatifs) savamment pesés.
Le Grand Marin : c'est l'histoire d'une femme libre et de gens qui se brûlent dans la vie, qui courent la mer, les grands espaces autant que les bars !
«J'en avais assez de la littérature funèbre et narcissique, des voyages au creux de mon nombril, de l'autofiction française qui sent si fort la dissertation d’hypokhâgne » écrit l'ami Hervé Hamon en guise d'avertissement dans son dernier roman-comédie-maritime Pour l'Amour du Capitaine (Seuil), l'auteur de Le Grand Marin exauce son vœu, et le mien que je partage.
Premier roman donc éblouissant signé Catherine Poulain, aujourd’hui bergère en Provence après des années d’errance et de pêche en Alaska. D'elle on dit désormais qu'elle est l'héritière sauvage de Conrad, Melville, London & consorts.
Que les amoureux des Lettres et du large le disent et partagent mon enthousiasme. Jaloux moi ? Non admiratif plutôt devant Le Grand Marin. Un récit-roman habilement ciselé par petites notes comme en peinture.
Stéphane Dugast
Photographies © Le Grand Marin/Mollat.com / La Grande Librairie / LCI / Les éditions de l'Olivier
Le grand Marin de Catherine Poulain. 370 pages - 19 € (éditions de l'Olivier)
BONUS
UNE RAZZIA DE RÉCOMPENSES Après le prix Mac Orlan, présidé par Pierre Bergé, Catherine Poulain remporte le prix Joseph Kessel, présidé par Olivier Weber, au premier tour et à l’unanimité. Et ce n’est peut-être pas fini ! Après avoir figuré sur les listes des meilleures ventes depuis sa sortie en janvier, Le Grand Marin est encore en course pour trois prix prestigieux : Le Goncourt du premier roman, le prix du Livre Inter et le prix Littérature-Monde décerné à Saint-Malo. En attendant, ce roman best-seller a raflé d'autres prix. Créé en 2006 par la librairie malouine La droguerie de marine, le prix Gens de Mer 2016 a été décerné à Catherine Poulain pour Le Grand Marin. Autres prix maritimes, celui du livre de mer Henri Queffélec à Concarneau et le prix Compagnie des Pêches décerné à Saint-Malo.