ASIA TREK : CONFIDENCES ALLONGÉES

Une balade en vélo à voile de plus de 20 000 kilomètres depuis le mont Saint Michel jusqu’au mont Fuji au Japon, c’est la folle épopée que mène Laurent Houssin sur les routes depuis octobre 2013. Une aventure placée sous le signe de la rencontre de l’Autre. Quelque part en Chine, sûrement coincé à un poste frontière à cause de son drôle d’engin, Laurent a pris le temps de répondre à quelques questions que je lui avais envoyées via facebook. Et le moins que l’on puisse dire c’est que l’homme est affable, sincère et touchant. Une rareté dans le monde (égotique) de l’exploration, non ?

- Laurent, comment résumer votre aventure Asiatrek ?

- Laurent Houssin : Comment résumer ? C’est une année déjà de vacances. Oui, je sais, j’utilise le mot «vacances» à dessein, pour mieux me détacher de cette cohortes d’aventuriers autoproclamés, de blogueurs de voyage cornaqués par des ministères du tourisme pour assurer la promotion de leurs destinations, sans oublier cette cohortes de «grands voyageurs» qui se suivent à la queue leu leu…

Je ne les blâme pas. Chacun mène sa barque comme il l’entend. Mais qualifier, par exemple, d’aventure le fait d’aller dans le sud de la France en stop, comme je l’ai lu me fait doucement sourire. Moi qui ait été biberonné aux exploits de d’Aboville, de Dieuleveult et consorts…

Cette appellation «aventure» me fait rire. Lorsque France 3 me présente comme cycliste de l’extrême parce que je m’entraine par -25°C, ça me fait un peu sourire. Il faut garder un peu d’humilité.

Alors oui, je suis avant tout en vacances et j’assume pleinement et de plus en plus cet aspect de vacance(s), surtout sans S. Car il s’agit d’une vacance de ma vie française. Après tout, la plus grande difficulté du voyage aura été de partir. Je suis de cette génération 1972, celle des Sylvain Tesson et Alexandre Poussin.

Si je n’avais pas été papa à 18 ans, quelle vie de voyages aurais-je eu ? Mais voilà, mon chemin a été fort différent des leurs. Et puis j’ai gardé longtemps comme une souffrance intérieure le fait d’être en possession d’un simple BEP de serveur comme plus haut diplôme. En 2000, mes premières publications dans Ouest-France m’ont apporté un peu de confiance en moi même jusqu’à devenir journaliste...

Comment est née cette aventure ?

En préparant Asiatrek, en 2011 l’idée était tragiquement simple. Je mettais fin à mon job de journaliste en quotidien dans le Loiret pour aider mes parents. Mon père avait un cancer du poumon incurable et maman avait du mal à s’en occuper. Je préparais également mon voyage à vélo entre la France et Xi’an. Au décès de papa en mars 2012, c’était évident qu’il fallait que j’aille jusqu’au Japon.

Le départ était prévu en septembre 2012. Ma mère est tombée malade en mai et elle est décédée fin 2012. Cette période où, moralement j’étais au plus bas, je l’ai mise à profit pour perfectionner ma connaissance de la voile, en participant au convoyage et au carénage d’un voilier à la Corogne puis en me perfectionnant aux Glénans, puis en louant une petite unité. Natif de la Manche, la mer a toujours été un apaisement pour moi.

D’où l’idée d’allier une voile à un vélo ? Pourquoi finalement avoir choisit un vélo à voile ?

Pourquoi un vélo à voile ? Pour trois raisons : je suis visible, le vent m’aide vraiment, le vélo fait rire les gens et dans ces temps de sinistrose, c’est agréable.

Lorsque j’ai sorti mon tricycle couché au printemps 2013, la mère de mon meilleur ami trouvait que je n’étais pas assez visible des automobilistes. Alors que je pédalais avec ma veste de quart, il m’est apparu évident que je devais modifier ce voyage et adjoindre une voile au vélo.

En recherchant sur Internet, je me suis souvenu de Christian Nau, cet aventurier qui avait traversé le Sahara en 1967 avec un char à voile. Nous avons eu quelques échanges. J’ai par la suite rencontré Jean-Nicolas Sayn de Roulez Champions à Paris, revendeur de la marque whike, un char à voile doté de pédales. Il m’a montré quelques rudiments de réparation de vélo, puis j’ai donc adapté moi même une première puis une seconde voile.

De 1,6 m² à 2,5 m², différents système de fixation du mat pour arriver au résultat actuel. Je l’ai testé sur plusieurs centaines de kilomètres afin de voir quelle était l’incidence du vent sur le comportement routier du tricycle, la réaction de l’ensemble face aux camions...

Après plus d’un an d’aventure, quel est ton état d’esprit ? A-t-il changé ?

Le 21 octobre 2013 à 6 heures du matin, au pied du Mont Saint-Michel je t’aurais raconté mon envie de réaliser un vrai beau documentaire, d’écrire un livre sur ce voyage.  Il était évident que c’était l’aboutissement d’un rêve. Je me voyais déjà, ventre plat et sourire au coin des lèvres, après 20 000 kilomètres, arriver triomphalement à Tokyo sous les acclamations d’un public en liesse.

Un an plus tard, je confesse que ce n’est pas l’aboutissement du rêve, mais plutôt la porte d’entrée vers le rêve. J’ai la matière pour réaliser un documentaire et un livre sur ce voyage. Mais franchement, qui va s’intéresser aux récits d’un mec qui se balade avec un vélo à voile ?

Ce cheminement qui m’a mené à accompagner la fin de vie de mes deux parents et cette humanité jusqu’à la fin est intéressante à raconter.

J’ai commencé à écrire sur cette errance vers le départ de mes parents, mais je ne pense pas raconter via  les anecdotes, certes amusantes, de cette balade à vélo. D’ailleurs, je n’ai pas eu envie de les écrire au fur et à mesure sur mon blog. Bien au contraire. 

Quels sont tes motifs de satisfaction ?

Ils sont nombreux. Au delà de la joie provoquée par le voyage en lui même, et l’effet des endorphines induites par le pédalage sur une grande distance, je me suis bien amusé sur de nombreuses portions avec ce vélo à voile. À l’image de la traversée du Kazakhstan du Nord au Sud ou la balade en Arménie.

De France en Chine où je me trouve en ce moment,  jamais le vélo n’a laissé les gens indifférents. Il a facilité de nombreuses rencontres, il a déclenché des milliers d’éclats de rires, des sourires. Je voulais me déplacer de manière écologique, avoir une empreinte moindre sur la terre et c’est gagné. 

Vous êtes l’auteur de nombreuses vidéos, qui vont constituer une websérie. Racontez nous ?

Avec cette websérie, je développe une corde de plus à mon arc. Même si elle ne me rapporte rien d’autre que les dons des Internautes et quelques témoignages de sympathie, elle me permet de me perfectionner. 

J’ai repris le goût à la photo. Le fait de travailler en quotidien ou en hebdo m’avait gâché ce plaisir. Je ne pratiquais plus que par nécessité journalistiques, sans réfléchir, cédant à la facilité sans prendre mon pied…  

Le 21 octobre, j’espérais bêtement que les premiers Japonais que je voyais sortir du Mont allaient me parler. Mais non. J’ai donc laissé le hasard faire son œuvre depuis un an.

À part une demande de couchsurfing, je n’ai rien demandé à personne et j’ai tellement reçu. J’ai essayé à mon niveau de redonner un peu de ce que j’avais reçu.  

J’avais presque visité tous les pays de France jusqu’en Iran en 2007. J’ai pu aborder encore un peu plus la découverte de ces pays déjà visités et étancher toujours plus à l’Est ma soif de découverte.

J’avais noté, parmi de nombreuses idées que c’était un voyage de luxe, le vrai luxe étant de prendre le temps. Et c’est hélas, l’un de mes motifs d’insatisfaction.

Justement racontez-nous maintenant vos motifs d’insatisfaction ?

Comment rencontrer les gens dans le temps tout en luttant face au temps restant d’un visa qui s’égraine trop rapidement ? 3 mois en Turquie, Géorgie, Arménie, c’est royal. 21 jours en Ouzbékistan, c’est une punition.

C’est pour cela que j’ai du prendre plusieurs fois le train pour ne pas être coincé et pour gagner un peu de temps passé avec les gens. Mes handicaps étant constitués par les dimensions du vélo et la totalité de mon équipement : de quoi être en autonomie : tente, sac de couchage été comme hiver, matériel informatique, photo, vidéo et batteries. 

Asiatrek est finalement un projet personnel, il est possible qu’il n’intéresse aucun producteur. Mais il m’aura apporté beaucoup.  Fort de cette expérience, j’ai le projet d’un format vidéo sous forme de série. Je compte tourner une démo et démarcher avec en 2015. Quelque chose de beaucoup plus écrit qu’Asiatrek...

Et maintenant, que comptez-vous faire ?

Je terminerai la partie chinoise en train ou bus pour prendre mon ferry le 9 décembre pour le Japon. Je compte rester un peu plus d’un mois environ pour commencer à découvrir ce pays. Papa avait réalisé l’omelette de la mer Poulard devant la télé japonaise en 1985, je garde depuis une forte envie de découvrir le Japon.

Ensuite, ce sera le retour sur la Magistrale Amour Baïkal, puis le Transsibérien classique dans l’hypothèse où je décroche mon visa russe. Autrement, je participe au prochain Sun Trip 2015, la course de vélos solaires de Milan vers Astana au mois de juin. Il me reste encore à trouver des partenaires… » 

Photographies ©Laurent Houssin / Asiatrek

 

› BONUS
Laurent Houssin & Asiatrek à l'honneur dans C Sport