CHARLIE, BANDITS, MALI...

7 janvier 2015, une triste date dans l'Histoire de France. Celle d'un attentat perpétré dans les locaux de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo. Un drame en apparence éloigné du monde de l'Aventure et de l'exploration. Si les réactions et les témoignages ont fleuri sur la Toile et les réseaux sociaux, un post publié par un ami explorateur m'a interpellé. Infatigable arpenteur et fin connaisseur du désert, Jean-Pierre Valentin témoigne à chaud sur ce drame et ses résonances au Sahara. Un témoignage éclairant...

"Les djihadistes tuent en France et au Sahara, au Moyen-Orient, aveuglés par la bêtise de leur fanatisme et les harangues de leurs leaders. La perte de journalistes et dessinateurs de talents est terrible, d’une tristesse absolue, épouvantable, de même ce policier froidement abattu, ce sont des actes ignobles et hautement condamnables évidemment, mais chaque jour en terre d’islam, des musulmans, tout simplement croyants, par tradition, besoin, foi, sont aussi tués, terrorisés, victimes de ces «bandits» qui utilisent la religion à des fins mafieuses, politiques, personnelles…

Si je ne maitrise pas parfaitement le Coran, j’ai pour amis nombre de musulmans, je dois dire parmi mes plus chers amis, fréquentés sans interruption depuis 32 ans. Et certains, tels Aroudeiny ag Hamatou ce 1er janvier 2015 ou en décembre 2012 son cousin Alwadaghat, ont été abattus par des djihadistes terroristes du MUJAO ou d’AQMI.

C’est une situation aujourd’hui totalement inextricable, que les interventions armées directes ne résoudront en rien. Malheureusement le mal est plus profond, ancien, et ceux qui l’on vu approcher, ce mal et son lot de morts, n’ont pas été entendus.

La corruption de régimes que la France ou d’autres ont soutenu, au Mali par exemple, a autorisé l’installation des narco-djihadistes dans le Sahara. La pauvreté, la gabegie, l’incapacité des structures internationales à mener des projets constructifs, sur la durée, visant à l’autonomie des populations locales, ou le manque de prise en compte des désirs de ces mêmes habitants, ont amené à la situation actuelle.

Et les états européens, étatsuniens, ne s’en sont préoccupés qu’à partir du moment où leurs intérêts directs ont été menacés : à la suite du 11 septembre ou pour protéger l’approvisionnement en uranium en 2013…

Les populations du Sud valent mieux que nos petits calculs de moyen terme, mais qui réellement en haut lieu se préoccupe des paysans du Sahel, des bergers sahariens, de l’avenir des confédérations touarègues empêtrées depuis 55 ans dans des bisbilles plus ou moins fréquentes et dramatiques avec les pouvoirs en place en Afrique. Qui ?

Cet aveuglement, ce manque d’intérêt lié très probablement à l’individualisme de nos sociétés, ce désintérêt pour l’autre et l’ailleurs, nous revient en boomerang à la figure. Si la France intervient au Mali, ce sera pour dix ans au moins avaient annoncé tour à tour Michel Rocard et Hervé Morin ; en effet, faute d’avoir agi à temps ce sera long, très long, pour essayer de recoller les morceaux de sociétés en miette…

Par-delà les leaders djihadistes, les «loups solitaires» poussés par des raisons parfois obscures, les fous furieux tels ceux déterminés qui ont ignoblement attaqué ce matin la rédaction d’un journal, ces mouvements sont constitués de va-nu-pieds qui n’ont plus rien à perdre et qui peut-être cherchent une issue à leur errance dans ce monde dont ils sont exclus.

Cette réflexion est trop courte pour être exhaustive. Je suis terriblement peiné, ému, par ce qui est arrivé le 7 janvier, parce que tout cela était si prévisible – je ne parle pas nécessairement du journal Charlie hebdo - mais de la situation globale engendrée par le djihadisme. Et depuis si longtemps. Et personne, quand il en était encore temps, n’a vraiment essayé d’empêcher cette dérive terroriste.

Toutes mes condoléances aux familles des victimes, mes souhaits de rétablissement aux blessés"

Jean-Pierre Valentin
Photographe & documentariste indépendant