Lancé en 2007, le blog Embarquements cesse momentanément ses parutions.
AVENTURES, EXPEDITIONS & FINANCEMENT : UN DIFFICILE PARCOURS DU COMBATTANT
Tous les aventuriers, explorateurs, coureurs d'océans et globe-trotters de l'extrême, passeurs de rêves ou chasseurs d'exploits, qualifient systématiquement de « très difficile parcours du combattant » leur quête de financement, obstacle majeur à franchir dans une expédition, pour audacieuse et dangereuse qu'elle fut. La grande enquête signée Patrick Filleux, journaliste spécialiste du monde de l'aventure et membre actif de la Société des Explorateurs Français.
La difficulté à trouver des financements pour des expéditions n'est pas nouvelle mais se trouve considérablement accentuée depuis 2008 dans l'actuel contexte de crise pathologique économico-financière.
Les bailleurs de fonds, parrains (=sponsors) et mécènes sont d'une prudence de Sioux, sourcilleux et timides quand vient l'heure de lâcher les espèces sonnantes et trébuchantes pour un retour sur investissement toujours aléatoire qui reste l'inconnu dans la complexe équation gagnant-gagnant.
Si le sponsoring sportif qui engage des sommes colossales dans les disciplines institutionnelles (foot, Formule 1, grandes courses au large) très médiatisées se porte bien, l'affaire est beaucoup plus complexe concernant le monde de l'aventure et de l'expédition.
Son écosystème avec ses nombreux paramètres - sportif certes mais aussi scientifique, écologique, environnemental, éthique, voire philosophique et onirique (valeurs universelles de courage, volonté, endurance, résilience, esprit d'aventure)- est radicalement différent.
SPONSORING v’s MÉCÉNAT
La formule la moins utilisée par les aventuriers de tout poil est le sponsoring (=parrainage financier), assimilé à la publicité, qui autorise une entreprise à déduire les sommes engagées de son résultat fiscal.
Ce type de financier attend des retours sur investissement à court terme et avec des risques calculés, après les apparitions programmées, très médiatisées et télévisées de son logo sur les maillots des modernes joueurs du cirque, des carrosseries de bolides ou sur une voile de bateau de course.
Cette formule dans laquelle le bénéficiaire ne constitue in fine qu'un support ou alibi sportif pour une opération purement mercantile, ne se prête guère, dans le temps, l'espace et la visibilité à l'expédition aventureuse au long cours, y compris porteuse de recherche scientifique, de préservation environnementale ou d'exploration.
C'est donc vers les mécènes, privés ou d'entreprise, petits et grands, via des fondations ou fonds de dotation à but non lucratif et d'intérêt général ou public, que les aventuriers se tournent pour réaliser leurs projets.
Concernant ce mécénat, les donateurs particuliers ont droit à une réduction d'impôts sur le revenu à hauteur de 66% du montant des versements, dans la limite de 20% du revenu imposable.
Pour les donateurs d'entreprise, cette réduction d'impôts est limitée à hauteur de 60% des versements dans la limite de 0,5% du Chiffre d’Affaires, ce qui, pour les grosses entreprises "philanthropiques" et selon nombre d'analystes, peut constituer une niche fiscale d'excellent rapport.
«ON INVENTE DES HISTOIRES»
(JEAN-LOUIS ETIENNE)
«Nous, on invente des histoires...» : avec 5 mots, le célèbre médecin-explorateur Jean-Louis Etienne, l'aventurier des pôles aux multiples expéditions en Arctique et Antarctique, résume ainsi à la fois l'esprit pionnier et novateur d'une expédition-exploration, mais aussi sa problématique financière qu'elle ne manque pas d'engendrer.
«En règle générale et c'est mon cas, les projets d'expéditions sont ou se veulent inédits. Il convient donc de convaincre les mécènes potentiels de sauter le pas en verrouillant le caractère technique sérieux et argumenté ainsi que la faisabilité de la proposition. Mais il faut mettre en lumière les valeurs dont elle est porteuse et leur convergence avec celles revendiquées par l'entreprise sollicitée».
«Mais dans ce domaine de l'aventure, il y a toujours une prise de risque, un saut dans l'inconnu pour le mécène et donc un examen au microscope et comptable de la validité du projet avant engagement», souligne Jean-Louis Etienne qui s'amuse de s'entendre demander «quel est votre business plan ?», quant il présente un projet d'aventure aux techniciens de la finance.
En dépit de sa célébrité, le médecin-explorateur travaille ainsi d'arrache-pied depuis 4 ans à réunir un budget de 10 millions d'euros pour construire son "Polar POD", une sorte de phare dérivant autour du continent Antarctique, habité et bardé de technologie propre à sonder et mesurer l'écosystème marin et atmosphérique autour du pôle Sud.
ESPRIT PIONNIER ET LONG TERME
(FONDATION AIR LIQUIDE)
Xavier Drago, le directeur du développement durable du groupe Air Liquide, le géant des gaz, et délégué général de la fondation éponyme, participe au financement "sur le long terme" de nombre d'aventures et d'importantes expéditions à connotation scientifique comme Under the pole (UTP - Sous le pôle), la récente expédition française de plongée dans les abysses arctiques au Groenland. La fondation a accordé 100 000 euros à UTP ainsi que de l'équipement pour une valeur de 20 000 euros.
«Au-delà de son caractère sérieux et novateur, le projet qui nous est soumis doit aussi afficher une convergence de valeurs avec celles de notre groupe comme l'esprit pionnier, le courage et le souci marqué de la qualité de l'environnement», dit-il.
Il n'attend pas de son partenariat financier un retour en deniers, mais «un "plus" dans le domaine de la communication d'entreprise, un élément de motivation et de fierté pour les salariés, de même qu'auprès des clients et actionnaires dans la communication externe».
Romain Troublé, le secrétaire général de Tara Expéditions, la goélette océanographique, ajoute de son côté, «que le bénéfice retiré par les entreprises mécènes dépend aussi de l'énergie qu’elles déploient, tant en interne qu'en externe, à faire connaître leur implication dans l'aventure concernée».
Il souligne aussi l'infranchissable fossé financier entre le sport institutionnel et le domaine de l'aventure: «le budget total d'une participation au Vendée Globe avec un bateau pour gagner, tourne autour de 7 à 8 millions d'euros. Ce sont 3 années d'expédition autour du monde pour Tara».
JE VENDS DU REVE»
(ANNE QUÉMÉRÉ)
Elle fait partie des artisans de l'aventure, modestes mais très performants. La navigatrice quimpéroise Anne Quéméré a signé des transatlantiques à la rame et une transpacifique en kite-boat (canot tracté par une voile de cerf-volant). Le coût de ses expéditions tourne autour d'une vingtaine de milliers d'euros.
«Je tricote mon réseau de partenaires moi-même, explique-t-elle. 4 ou 5, pas plus (PME locales, succursales régionales de banques) et le plus souvent trouvés dans ma Bretagne natale. Je vends du rêve. Quand le rêve rencontre les mêmes valeurs au sein d'une entreprise, le partenariat prend forme».
«Mais, c'est de plus en plus difficile dans le contexte économique actuel de restrictions et d'austérité. Tout entrepreneur-mécène qui demande à son personnel de se serrer la ceinture sait qu'il est délicat d'investir en même temps dans une expédition qui peut apparaître comme une "danseuse" aux yeux de ses salariés».
Jean-Gabriel Chelala qui a bouclé en 2010 un tour du monde inédit «à la force humaine» (canot à pédales et kayak sur mers et rivières et vélo assis et couché sur les terres émergées), est devenu, sans lâcher l'aventure, un jeune entrepreneur ingénieux (dans le bâtiment et l'isolation) qui tente de résoudre à sa manière la question du nerf de la guerre pour ses prochaines expéditions.
Il prépare une transméditerranéenne inédite entre la France et de Liban sur un prototype canot à pédales et cerf-volant stabilisateur.
Jean-Gabriel Chelala a créé sa propre fondation pour récolter des fonds et monter son projet. Elle s'appelle "Monsieur Aventures"... tout simplement !
Patrick Filleux
Photographies © DR
QUI EST L'AUTEUR ?
Journaliste-reporter depuis 1976 à l'Agence France-Presse, Patrick Filleux est un journaliste qui a multiplié les enquêtes pendant un quart de siècle, sur le terrain et sur tous les continents assistant aussi bien à des guerres, des guérillas, que des catastrophes, des coups d'Etat, des actes de terrorisme ou des grands faits de société (Afghanistan, Liban, Salvador, Roumanie, Soudan, Philippines, Pologne….).
Il est le créateur à l'AFP en 2005 de la seule rubrique "Aventure" existant dans les trois agences mondiales de presse : Associated Press (US), Reuters (GB) et AFP (FR). Sa rubrique offre un spectre large qui rend compte de toutes celles et ceux qui "vont voir plus loin", sur terre, mer ou dans le ciel, aventuriers individuels ou grandes expéditions collectives à coloration scientifique, raideurs ou plongeurs de l'extrême, arpenteurs des pôles ou des jungles tropicales, funambules des plus hauts sommets…
Patrick Filleux est également le co-auteur du livre 48° Nord racontant le tour du monde "à la force humaine", sans voile, vapeur ou énergie fossile, mené par Jean-Gabriel Chelala.