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CLAUDE FOKO, LE MARIN IMMOBILE #1 [BEST-OF]

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Seize mois seul à bord. Treize mois sans salaire à travailler pourtant quotidiennement sur un cargo qui ne repartira probablement jamais. C’est le drôle de destin de Claude Foko, un  marin mécanicien de nationalité camerounaise, naïf mais soucieux de travailler. Des gens de mer de Brest (même) se sont heureusement mobilisés. Un reportage marin signé Stéphane Dugast datant de 2010 mais à l'écho si puissant.

Sa prison n’a rien de doré. Elle date de 1964. C’est un bateau ou plus précisément un  cargo au style un brin désuet avec un panneau de cale avant, pas bien grand de l’aveu de ceux qui fréquentent le port de commerce de Brest depuis trois ans.

En guise de panneau de cale arrière, Claude Foko dispose d’un roof important surmonté d'un grand bossoir d'embarcation selon des passants avertis. Il s'agit en fait d'un cargo de dimension modeste.

Long de 48 mètres  de long et large de 9,15 mètres, l’ex Nettelill et Svendborgsund – devenu Ebba Victor – a été construit en 1964 à Frederikshavns au Danemark. Cargo sur la mer Baltique jusqu’en 1973, le navire à la coque immatriculée «IMO 6421921» est devenu à compter de 1976 un navire école. La localité de Harnosand en Suède était son port d'attache jusqu’à son immobilisation forcée à Brest fin août 2007.

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En route pour la Tunisie, le cargo fait alors escale dans le port phare de la pointe Bretagne afin de réparer une avarie sur son moteur. Après visite des autorités portuaires, un manque flagrant de sécurité est constaté. Décision administrative est prise d’immobiliser le cargo à quai. Après deux années d’escale forcée, l’arrivée providentielle d’un mécanicien annonce une reprise en main du bateau par un nouveau propriétaire.

Mission est ainsi confiée à Claude Foko, chef mécanicien camerounais, de convoyer Ebba Victor depuis Brest jusqu’à Douala au Cameroun. Le propriétaire règle oralement les conditions de ce nouveau poste embarqué. A «Claude-le-marin», on assure que l'éloignement ne sera aucunement préjudiciable à sa famille et à sa femme, enceinte de jumeaux.

Pas de contrat de travail mais seulement la parole d'un employeur qui inspire confiance. « J'étais parti pour trois ou quatre mois maximum. Mon épouse attendait des jumeaux. J'étais encore confiant » confesse l’intéressé. Lorsque le mécano arrive sur le cargo abandonné à Brest, Claude Foko se retrouve seul à bord d’un navire en sale état. Personne ne rejoindra le mécanicien.

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UN EMBARQUEMENT CAUCHEMARDESQUE

Claude s'échine malgré tout à remettre en état la machine, à installer des pièces d'occasion arrivant au compte-gouttes. Le mécanicien ne s'inquiète pas trop lorsque la paye du quatrième mois ne tombe pas. Sa mission ne consiste-t-elle pas à remettre le navire en état pour un départ imminent à destination Cameroun ?

Les mois défilent. Le propriétaire, un camerounais résidant en Allemagne, ne donne plus signe de vie à son employé naïf mais soucieux de gagner sa vie. Factures et salaires ne sont plus honorés. Coincé à bord de ce bateau poubelle, Claude Foko continue malgré tout de travailler et de vivre à bord. L'été 2009 vire au cauchemar lorsque le marin oublié apprend par téléphone que son épouse vient de perdre ses bébés. «Je me suis aussitôt dit que c'était parce que je n'avais plus d'argent à envoyer là-bas !». Le chef mécano culpabilise.

L’hiver suivant est difficile. Pas de chauffage à bord de ce navire usé. Un matin, une entrée d'eau au niveau de la salle des machines, manque de l'envoyer par le fond. Ebba Victor est sauvé de justesse. Son unique marin se retrouve en cale sèche pour réparer, puis revient sur le même quai. Le mécano ne s'accorde aucun jour de congés puisqu'il assure aussi le gardiennage et la surveillance des amarres.

De son triste sort, Claude Foko ne s’est pourtant jamais plaint. «Si des habitués du port ne s'étaient pas inquiétés de le voir sur le même rafiot depuis tout ce temps, il serait encore à marner en fond de cale» a écrit Stéphane Jézéquel, journaliste au quotidien Le Télégramme de Brest, dans un article consacré au marin sans salaire, malade et éloigné de sa famille et de son pays. A Brest, sur le «quai patates», la solidarité des gens de mer va être exemplaire. (LIRE LA SUITE)

 

Stéphane DUGAST
Photographies Mor Glaz* / Illustration Râmine

logo-Morglaz1web.jpg* : L’association  Mor Glaz (mer bleue) est un collectif créé en 2000 suite à l'accident de l'Erika et au ras-le-bol de voir sans arrêt des navires polluer l'environnement maritime mettant en danger la nature, les hommes et l'économie. Ce collectif à la particularité de réunir en son sein des citoyens de toutes origines, qu'elles soient politiques ou syndicales, des enseignants, des chercheurs, des écrivains, des scientifiques, des dirigeants d'entreprises et des marins.

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