Pierre Auzias (dit « Peeri ») vit sur la côte occidentale du Groenland à Uummannaq. Chronique d’un quotidien ordinaire pour Peeri.
« Je danse la polka sur notre plancher éclaté pour essayer de remettre ses lattes en place. Au moins les dessous sècheront et je n'aurai sans doute pas de mérule dans les structures de la maison construite tout en bois. Panne de chaudière, glace dans les tuyaux et robinetterie irrécupérable.
L’homme de confiance qui devait s'occuper de la maison durant notre mois d'absence a oublié sa visite quotidienne. Il a cependant couru chez le plombier avant notre arrivée…
Curieusement, je ne me mets plus en colère lorsque un évènement majeur de ce style dresse un tel obstacle dans ce quotidien parfois extrême qu'Annie et moi avons choisi. Je philosophe ayant confiance en le temps qui remettra les choses en droite ligne.
« Tout ce qui est tordu n'est pas toujours très droit ! », disent les Chinois. Ce n'est donc pas une raison pour se fâcher.
Au contraire, je ressors les pinceaux de leur écrin et sitôt dans la rue, je salue Rasmus, grand chasseur qui m'attire chez lui pour me montrer le rostre du narval qu'il vient de tuer.
Encre gelée. Uummannaq Fjord - Pierre A.C. Auzias / 2012
Rasmus approche la cinquantaine. Il est un de mes « professeurs » qui m'aide avec un talent pédagogique inégalable à articuler les mots de groenlandais que j'écorcherai éternellement.
La plupart du temps, nous nous y mettons spontanément, bras dessus, bras dessous qu'il ne lâche que pour se plier en deux de rire aussi fréquemment que possible.
Nous sommes à chaque fois obligés de nous arrêter, pris de syncopes par ces fous rires qui se transmettent bien entendu aux gens qui nous croisent…
Nous mettons bien 30 minutes à gagner ainsi sa jolie maison située à 500 mètres de la nôtre. Elle domine la corniche qui ceinture la ville, à quelques 80 mètres au dessus de la mer, face aux 100 kilomètres du fjord qui s'ouvre vers le sud.
Une mince pellicule de glace encore transparente a pris la mer. Ce paysage me coupe encore le souffle, depuis sept ans.
La maison plane au dessus de ce panorama unique en arctique et au monde.
Il est déjà midi. Dans trois jours, me fait remarquer Rasmus, le soleil gagnera les crêtes montagneuses de la péninsule de Nuussuaq. Le profil de sa vieille mère assise derrière la fenêtre se découpe sur la lumière du jour revenue.
« Tikilluarit! », me dit elle pour me souhaiter la bienvenue.
Amalia vient parfois d'Illorsuit pour voir ses enfants et petits enfants. Elle coud, si justement et avec force, deux peaux de chiens blanches comme la neige pour en faire une salopette de sortie hivernale pour son arrière petit fils.
L'opportunité présente d'un beau portrait est évidente. Je m'en garderai bien car silencieuse et grave, je ne veux la déranger. Sa beauté est fascinante et en me retirant, comme un éclat de miroir, je la félicite de cela.
Sans changer le rythme de son aiguille qu'elle plante dans son ouvrage, elle oriente doucement son visage puis son regard, comme une caresse au plus profond du mien. Elle cherche à savoir qui je suis.
Il me faudra quand même revenir bien des fois pour comprendre ce visage extraordinaire et mystérieux pour pouvoir m'octroyer le droit de salir un peu de papier » (À SUIVRE)
Pierre AUZIAS
À Uummannaq
Le 29 janvier 2013