Lancé en 2007, le blog Embarquements cesse momentanément ses parutions.
INUIT-BREIZH CONNEXION #2 : LE PAPE DU KAYAK DE MER
Une singulière connexion existe entre bretons et inuits. Embarquements est allé à la découverte de cette étonnante complicité autour d'une passion commune : le kayak de mer. Le récent festival Rêves Arctiques à Trégastel en est une belle illustration. Portraits de trois figures tutélaires – et bretonnes - de cette pratique, millénaire pour les uns, récente pour les autres. Seconde rencontre avec le Pape du kayak de mer, Guy Cloarec.
Guy Cloarec est devenu dès 1975 « LE » patron de l'Auberge de Jeunesse de Paimpol, la Mecque du kayak de mer qui a formé des générations de valeureux kayakistes venus du monde entier et pour certains partis dans des expéditions de grande envergure. Rencontre avec cet amoureux sans concession du kayak érigé en art de vivre.
[Embts] : Guy, vous avez introduit le Kayak de Mer dès 1980 à l'Auberge de Jeunesse de Paimpol. Cette pratique était jusque là inconnue en France ?
[GC] : Il y avait des prémisses dès l'avant-guerre. On commençait la construction amateur en contreplaqué. On pouvait même trouver des plans de périssoire dans une célèbre revue de bricolage. Puis on est passé à la construction de beaux canoës bois, certains munis d'une petite voile. Il y a un passage cocasse dans les Vacances de Monsieur Hulot tourné dans les années 50 qui met en scène ces deux embarcations !
[Embts] : Et Robert Dhéry est l'auteur d'une séquence hilarante avec de Funès dans Le Petit Baigneur, mais on est quand même loin du kayak de mer d'aujourd'hui ?
[GC] : en France, oui, mais les anglais étaient précurseurs. Pendant que Paul-Emile Victor vivait ses aventures dans une famille eskimo de la côte est du Groenland, le jeune explorateur anglais Gino Watkins importait des kayaks de Ammassalik et maitrisait l'esquimautage. Plus tard ils ont eu l'idée de génie de cloisonner le kayak, pour créer des compartiments étanches. A partir de ce moment, on pouvait imaginer des expéditions engagées.
[Embts] : Comment cette influence anglaise est-elle arrivée à Paimpol?
[GC] : La bible du Kayak de Mer, écrite par Derek Hutchinson (encore un anglais!) a été traduite, puis l'architecte Loïc Bourdon a commencé la construction des kayaks comme le Catchicky ou l'Artika qui sont toujours d'actualité. Nous allions aussi dans les salons spécialisés en Angleterre.
A partir de ce moment, nous avons formé un noyau très soudé à l'Auberge de Jeunesse de Paimpol. Nous avons lancé des stages, des formation de jeunes encadrants où nous faisions venir les anglais.
[Embts] : Vous avez développé une vraie philosophie du Kayak de Mer, éloigné du monde de la compétition ?
[GC] : oui, pour nous le kayak se conçoit comme un moyen de découvrir la mer. Nous avons très vite organisé des randonnées ambitieuses, le tour de Bretagne, la côte croate, l'Ecosse puis plus tard le Groenland. C'est pour cette raison que nous avons mis l'accent sur la sécurité, développé des techniques et des équipements adaptés aux randonnées longues dans des régions isolées.
Notre démarche a toujours été respectueuse de l'environnement marin. C'était très novateur et nous sommes vite devenus les parias de la Fédération de canoë-kayak orienté exclusivement vers la rivière et la compétition...
[Embts] : Lorsque vous partez en mer avec vos kayaks, vous portez un héritage venu de l'Arctique ?
[GC] : Le kayak a une très longue histoire. Aborder le monde du kayak, c'est bien sûr s'initier à la culture inuit. Nous avons tout à apprendre de ces hommes qui ont inventé un si bel outil pour aller chasser les mammifères marins. Nous avons un contact privilégié avec ceux qui ont permis le renouveau du kayak au Groenland. Lorsque Kampe Absalonsen vient sur la plage du Coz Pors ou dans le Golfe du Morbihan, nous n'avons pas besoin de mots. C'est par le langage du corps qu'il nous transmets son savoir.
Voir l'épisode précédent : L'aventurier
Crédit photo : Cinémathèque, Diagonale Groenland, Pascal Crozet/Manche Ouest
Propos recueillis par Dominique Simonneau