Direction la côte orientale du Groenland. En immersion avec les derniers chasseurs et pêcheurs inuits, je découvre la vie hivernale et les pérégrinations en traîneau. Un brin gaffeur, je vis évidemment cette première journée à ma façon...
« Pousser, marcher, tirer, ralentir la cadence, stopper l’attelage. Souffler, pousser et marcher de nouveau. Plus le temps passe, plus le traîneau semble peser des tonnes. Mes gestes se mécanisent.
L’effort physique est continu mais devrait s’arrêter bientôt. Tout en haut du sommet, on aperçoit le glacier tant attendu.
Notre course s’effectuera alors en « Traîneau Grande Vitesse ». Nous ne devrions alors plus être loin du village de Tiniteqilaaq, terme de notre voyage…
En attendant, il faut toujours tirer, pousser, tirer, pousser. Avancer mètre par mètre afin de gagner du terrain et s’approcher du sommet.
Devant moi, tous les chiens tirent sur leur harnais avec une énergie incroyable. Même l’unique chienne aux longs poils dans lesquels s’agglomèrent des boules compactes de neige remplit sa tâche, quitte à rouler sur elle-même de temps en temps.
Je suis stupéfait de sa hargne et sa ténacité. De mon côté, les mains crispées sur les barreaux du traîneau, je m’accroche au sens propre comme au figuré.
La fatigue se fait sentir. J’ai le dos et les lombaires en compote. Le souffle court, j’entreprends désormais des pas de géant en levant haut les genoux quand l’une de mes bottes polaires reste encastrée dans la neige !
Surpris par ce coup du sort, j’agrippe le traîneau comme je peux sans réfléchir. Claudiquant sur un pied, je tente de freiner l’attelage.
Maudissant ces chaussures qui ne sont déjà plus imperméables, je jure et vitupère tout haut même si, en fin de compte, je sais déjà que ces bordées d’injures ne résoudront aucun de mes problèmes.
Au-dessus de moi, à une centaine de mètres, la caravane poursuit sa montée, indifférente à mon numéro de clown polaire.
Arrêt inopiné du traîneau et de son attelage. Le manche du fouet pour bloquer toute progression.
Soufflant comme une baleine, il me faut désormais redescendre 40 mètres en contrebas afin de récupérer cette fichue botte.
Avant d’attaquer cet exercice sur un pied, je lève le bout du nez. Sait-on jamais, les autres ont peut être vu ma « chorégraphie » ? Poursuivant sa marche inexorable, la caravane disparaît dans un banc de brume.
À moi de me débrouiller… »
Stéphane DUGAST
Extrait du Beau-Livre « Dans les pas de Paul-Emile Victor » (Michel Lafon)
Photographies © SD