L’océan Indien et la Corne de l’Afrique ont attiré nombre de passants. Des voyageurs, des artistes, des commerçants, des trafiquants… et un «vieux pirate» dénommé Henry de Monfreid.
L’image est trouble. Trafiquant d’armes, de haschich et de perles. Opiomane. «Vieux pirate» selon l’écrivain Joseph Kessel qui s’inspirera d’ailleurs de son existence dans son roman Fortune carrée tout comme le dessinateur Hergé dans Le Crabe aux pinces d’or.
«Chef adoré de son équipage mais mari et père très peu attentionné» dixit l’académicien et écrivain de Marine Jean-François Deniau. Abd el Haï («l’esclave du vivant») pour les habitants d’Abyssinie.
«C’est un personnage à mille coudées au-dessus de l’image du pirate qu’il avait lui-même accréditée » écrira Daniel Grandclément, son biographe.
Ecrivain de ses propres aventures, Henry de Monfreid (1879-1974) le deviendra finalement tardivement. Enfance et adolescence à la Franqui dans l’Aude. Echec aux classes préparatoires. Henry enchaîne alors une kyrielle de petits boulots.
Il devient tour à tour vendeur, planteur ou chauffeur. A 27 ans, il devient chef de service, responsable de la récolte de la crème à la Société Laitière Maggi puis chimiste. Premier coup de tête deux ans plus tard.
Il achète sa propre ferme à Melun afin de produire et de commercialiser lui-même son lait. Première faillite. Divorce avec sa première compagne. Le jeune trentenaire largue les amarres. Direction l’Afrique et sa Corne.
D’abord négociant en café et en cuirs, Henry se lasse vite. L’appel du large ? Du gain ? C’est sur son boutre sillonnant la mer Rouge qu’il mènera désormais ses affaires. Se succèdent des croisières avec de drôles de cargaisons, à la barbe des voisins Anglais, tout comme des missions d’espionnage.
Enquêtant sur le trafic d’esclaves, l’écrivain-reporter Joseph Kessel le pousse à publier ses écrits. Succès immédiat avec Les secrets de la mer rouge paru en 1931. Suivront 73 livres, traduits en plus de 12 langues dont le Russe et le Chinois.
À la différence d’autres conteurs, tout ou presque est vécu par Henry de Monfreid. Ce que lui reprocheront certains.
Suite à des connivences avec les Italiens, il est emprisonné par les Anglais. Durant la seconde Guerre mondiale, c’est au Kenya qu’il résidera en liberté surveillée avec sa seconde épouse.
Retour en France en 1947. Il s’installe dans l’Indre. A Ingrandes. L’artiste dépareille. C’est souvent vêtu d’un pagne, chaussé de sandalettes et coiffé d’un turban qu’il se rend chez l’épicier local pour peser ses têtes de pavots et les diviser en doses journalières.
Bons princes, les autorités tolèrent alors la consommation de stupéfiants d’artistes «non conventionnels». Inspiré, l’incroyable Henry continue de créer.
Il peint, il joue du piano, et surtout il écrit jusqu’à son décès à l’age de 95 ans. A Obock ou dans le Golfe de Tajoura, son empreinte paraît inoxydable.
Stéphane DUGAST
Photos © Fonds Henry de MONFREID